Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
perruquier soit législateur. » Enfin, en prétendant débarrasser l’homme de la tutelle religieuse, ce siècle nous a vendu une pensée religieuse elle aussi, par bien des aspects. Songez à cette grande invention d’Adam Smith et des économistes d’alors, qui est toujours un dogme aujourd’hui de la pensée libérale : on peut laisser se défouler les intérêts privés en libérant totalement le marché du commerce et de l’industrie parce qu’une « main invisible » le rend vertueux par nature. Remplacez la main par la Providence, c’est du Bossuet.
Que dire de la notion de progrès, imposée par cette époque, l’idée d’un continuum qui mène forcément l’humanité vers un mieux toujours et finira dans l’apothéose et le bonheur éternel ? On se croirait dans la Bible. Le xx e siècle, avec ses guerres, ses horreurs, nous a appris qu’aucun progrès n’est jamais continu, et que certains ratés peuvent être des désastres.
Revenons à ce point : Volaire serait donc antisémite. Qu’en est-il exactement ? Une chose est sûre : à maintes reprises, Voltaire a écrit des choses sur les Juifs qui nous heurtent profondément : « le peuple le plus abominable de la terre » n’est pas la pire. On a souvent expliqué cette animosité tenace par sa haine du catholicisme : en tapant sur le peuple de l’Ancien Testament, il frappait à la source, en quelque sorte. On peut faire un raisonnement parallèle avec ses écrits contre les musulmans. Sa pièce Mahomet ou le fanatisme est insupportable aujourd’hui, à moins qu’on ne lui rende son sous-texte : l’auteur était d’autant plus dur avec le fanatisme du prophète de l’islam qu’il était très dangereux de l’être contre celui des chrétiens.
De grands voltairiens expliquent aussi qu’il est anachronique de parler d’« antisémitisme » à propos des Lumières. La notion est du xix e siècle. On ferait mieux de parler d’« antijudaïsme », c’est-à-dire de haine d’une religion, et non d’une communauté considérée comme une « race », cela nuance les choses. Peu importe. En tant que telles, d’innombrables phrases écrites par Voltaire sont devenues illisibles. Cela ne concerne pas seulement les Juifs. On a cité ses horreurs sur la démocratie. On peut en trouver d’autres, plus terribles encore, sur les Noirs. Pour contrer, une fois encore, le récit biblique de la Genèse, notre philosophe était polygéniste , c’est-à-dire intimement persuadé que les Noirs et les Blancs ne descendaient pas du même couple et n’étaient donc pas de la même espèce, postulat aussi faux qu’intolérable.
Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que Voltaire était, comme tout autre, englué dans les préjugés de son temps. Il en a combattu beaucoup. Comme n’importe quel individu vivant à n’importe quelle époque, il en a conforté d’autres. Il faut se souvenir toutefois d’une chose qui change tout. En nous montrant qu’il n’existait pas de vérité révélée, mais que la vérité était un but ultime qui ne pouvait se dévoiler que peu à peu, il est le premier à nous avoir donné les outils intellectuels qui nous permettent de remettre en cause les préjugés. Les catholiques de son époque ne disaient pas moins de bêtises sur les Juifs, les Noirs, la religion. S’ils avaient triomphé et réussi à faire taire à jamais toute parole critique, les Juifs d’aujourd’hui vivraient toujours dans des ghettos, les protestants continueraient de ramer aux galères, les esclaves n’auraient toujours, pour se consoler du fouet, que les sermons de braves curés leur enseignant que la vraie liberté n’est pas de ce monde.
Ne mélangeons donc pas tout. Hitler n’avait pas besoin de Voltaire. Souvenons-nous que tous ceux qui ont combattu le nazisme l’ont fait au nom de la liberté, de l’égalité, et de la tolérance : ce sont les principes que nous ont légués les Lumières.
1 « Que sais-je ? », PUF, 1968.
2 Outre les synthèses déjà citées de Zysberg et Méthivier, on peut suggérer Histoire et dictionnaire du temps des Lumières (« Bouquins », Robert Laffont, 1995) de Jean de Viguerie, et citer, parmi les grands dix-huitiémistes, les noms des historiens français Arlette Farge et Roger Chartier, et de l’Américain Robert Darnton, grand spécialiste de l’histoire du livre.
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La Pompadour
Son siècle, son genre
Avant de voir s’effondrer
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