Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes ! » Un instant auparavant, Bailly, le président de l’aréopage, en se tournant vers ses pairs pour avoir leur approbation, avait risqué : « Il me semble que la nation assemblée n’a d’ordre à recevoir de personne. » La légende a retenu la phrase de Mirabeau. C’est dommage, celle de Bailly résumait mieux la situation politique.
Le roi hésite, puis cède. Tous les députés ont ordre de rejoindre l’organe nouvellement créé qui a tout pouvoir pour trouver une solution aux problèmes du royaume. Début mai encore, pour s’adresser à ses sujets, Louis disait « mes peuples ». Désormais, il a face à lui une « nation », cette « nation assemblée » dont a parlé Bailly et qui vient, d’un coup d’éclat, de se déclarer souveraine. Fin de la séparation en trois ordres, fin de mille ans d’histoire, fin de l’absolutisme. En moins d’une semaine, l’Ancien Régime est tombé. La Révolution française vient de commencer.
Nous sommes donc fin juin 1789. Début novembre 1799, un coup d’État conduit par un jeune général nommé Bonaparte emmène le pays vers un nouveau système. Cela fait donc dix ans. La décennie la plus riche, la plus troublée, la plus controversée aussi de l’histoire de France. Le point qui nous intéresse le plus dans ce livre, si l’on s’en tient à son idée directrice, c’est de voir à quel point cette épopée pèse encore aujourd’hui sur notre fonctionnement politique et notre rapport au monde. Pour rendre le propos intelligible, tâchons d’abord de rappeler sommairement les faits. On s’y perd toujours un peu. Pas de complexe à avoir, personne ne s’y retrouve jamais. Il s’est passé plus de choses en dix ans qu’en un siècle. Les Mirabeau, les La Fayette, les Danton, les Robespierre, s’y sont succédé à un train d’enfer : la plupart des rois ont régné des décennies, le rôle effectif de ces chefs révolutionnaires sur la vie politique a rarement dépassé un an ou deux. On peut ajouter en outre que, d’une certaine manière, leur célébrité compte double : selon le point de vue de celui qui les examine, chacun d’entre eux peut être plusieurs hommes dans le même, au choix, un héros, un traître infâme, ou un tyran sanguinaire.
Essayons de ne pas juger pour l’instant, attelons-nous donc avant tout à une entreprise autrement difficile : tenter d’établir une synthèse claire et rapide de la période. Au moment où nous en sommes, l’absolutisme vient d’être jeté à terre, mais la tête de l’État n’a pas changé, c’est toujours le roi. Il règne jusqu’à sa déposition en août 1792. Le cadre du premier épisode s’impose : la fin de la monarchie.
L’été 1789
Reprenons le cours des choses où nous étions, fin juin 1789 : dès les semaines qui suivent, les événements, dont la plupart sont encore gravés dans notre mémoire, vont se bousculer à une vitesse inimaginable. La belle saison de 89 a été, écrit l’historien François Furet, « l’été le plus extraordinaire de notre histoire ». Il présente aussi, sur un strict plan pédagogique, un avantage dont nous allons nous servir. Dès ce moment se mettent en place une nouvelle configuration politique et de nouveaux rapports de force que l’on va retrouver à peu près jusqu’à la fin de la période révolutionnaire. Plutôt que de suivre la stricte chronologie de cette saison essentielle, tâchons donc de comprendre quelles sont les règles du jeu nouveau qui s’ouvre, et qui en sont les acteurs.
Au centre du pouvoir, désormais, l’organe né sur les décombres des États généraux : l’Assemblée nationale. Elle s’est assignée pour tâche première de donner une constitution au royaume, on l’appelle donc la « Constituante ». Les assemblées qui lui succèdent, selon les fonctions qui seront les leurs, porteront des noms différents (la « Législative » puis la « Convention ») ; elles garderont toujours cette place éminente, elles représentent la nation. Dans la fougue, la passion, la fièvre des mouvements de tribune, on s’y invective, on y délibère, on y abat aussi un travail considérable. Deux séances historiques l’indiquent très vite : dans la nuit du 4 août, sur proposition de deux aristocrates, et dans des transports d’émotion, on vote l’« abolition des privilèges », la fin des droits seigneuriaux,
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