Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
la fin de l’inégalité devant les emplois, la fin des charges héréditaires, c’est-à-dire la fin définitive du monde issu de la féodalité. Le 26 du même mois d’août est voté un texte qui, en quelque sorte, en est le pendant. Il représente la charte de la société nouvelle que l’on entend élever sur les ruines de l’ancienne, une société dans laquelle le mérite prime le sang puisque « tous les hommes naissent libres et égaux en droit » (article 1). C’est la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
Le deuxième acteur important de notre nouvelle pièce, dans les bons vieux manuels d’histoire républicains, s’appelle « le peuple ». « Le peuple prend la Bastille », « le peuple renverse la monarchie » : il est omniprésent, mais de façon floue. Qu’est-ce au juste que ce « peuple » ?
À l’époque, dans sa majorité, il est constitué de paysans. Curieusement, de ceux-là, dans les dix ans qui viennent, on entendra fort peu parler. La seule irruption d’importance du monde rural dans le cours de la Révolution arrive durant notre été 89. On l’appelle la « Grande Peur », il s’agit d’une étrange émotion collective qui saisit les campagnes dans diverses provinces, à la fin de juillet. Des rumeurs courent les plaines et les halliers, ayant sans doute pour base les nouvelles confuses qui arrivent de Paris : on parle de troupes de brigands qui seraient sur le point d’attaquer fermes et villages, et que l’on croit parfois envoyées par les aristocrates. On s’arme pour se défendre contre ces bandes qui n’apparaissent jamais mais on s’échauffe les sangs, et dans maints endroits on finit par brûler les châteaux. C’est aussi pour tenter de calmer cette furie que l’Assemblée fait sa fameuse nuit du 4 Août.
Pour le reste, le « peuple » de la Révolution est surtout celui de Paris et de ses faubourgs, de pauvres gens poussés par la misère et de nobles idéaux, ou, on le reverra souvent aussi, des bandes violentes instrumentalisées par ceux qui se servent d’elles pour se débarrasser de leurs rivaux. Les hommes ne portent pas les souliers à boucle et l’habit des bourgeois mais les pantalons flottants des ouvriers, d’où le surnom qu’on leur donnera bientôt : les sans-culottes. Ce sont eux qui surgissent, armés de piques, de quelques fusils ou de leur seule rage et qui animent les « journées révolutionnaires », ces émeutes qui ponctuent la Révolution et en font basculer le cours à maintes reprises. Deux journées de 1789 sont entrées dans l’histoire. À la mi-juillet le bruit s’est répandu que le roi faisait masser des troupes autour de Paris pour briser la Révolution. Des tribuns, comme le jeune Camille Desmoulins, appellent les Parisiens à se défendre. Des foules parcourent la ville à la recherche d’armes. On en trouve d’abord aux Invalides puis, avec les canons qu’on vient de prendre, on fait le siège d’une forteresse-prison de l’est de la ville, où l’on sait qu’on en trouvera d’autres. Premiers affrontements, premiers morts (plus d’une centaine parmi les assaillants), premières têtes coupées (celle du gouverneur). On l’a compris : la forteresse s’appelle la Bastille, et la France vient de vivre son 14 juillet inaugural.
Deux autres journées ont lieu début octobre. Paris a faim. Des Parisiens, et surtout des Parisiennes, partent en procession à Versailles pour réclamer du pain. La foule est également troublée par d’insistantes rumeurs qui disent qu’un régiment royal a piétiné la cocarde tricolore, adoptée depuis juillet comme emblème de la nation. La colère gronde. Les plus énervés investissent le château. Quelques gardes sont tués. La reine s’échappe in extremis par une porte dérobée et seul La Fayette, accouru sur place, réussit à calmer le jeu. La foule revient à Paris en ramenant un butin précieux : le roi et les siens, muets dans leur carrosse, littéralement consternés, précédés des piques portant les têtes des gardes tués la veille. La fin d’un autre monde encore. Le rideau tombe sur Versailles, la coquille désormais vide d’un pouvoir qui s’en va.
Voici donc, dans le délabrement du vieux palais des Tuileries où on l’a installé le soir-même, la troisième pièce de notre échiquier : le roi. Il semble dépassé par les événements. Il ne les maîtrisera jamais. En juin, il a finalement accepté
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