Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
poussaient des pointes en Gaule dans une logique de razzia, non dans une logique de conquête. On les voit repartir d’autant plus rapidement qu’ils n’avaient pas l’intention de rester.
Le grand vaincu de l’histoire, selon le médiéviste Michel Rouche, n’est pas l’émir mais Eudes, l’Aquitain, dont le puissant domaine est ébranlé par le nouvel homme fort, l’homme au martel. Il avait d’ailleurs tout fait pour ne pas avoir à demander son aide. Sa première stratégie pour contrer les Arabes avait été de s’allier à un gouverneur du Nord de l’Espagne en révolte contre eux, Munuza, un Berbère musulman à qui il avait promis sa fille. Munuza fut tué dans un combat. Au bout de quelque temps, Eudes eut pour seul recours d’en appeler au puissant Austrasien, qui en profita pour étendre son contrôle sur cette province. Poitiers, c’est donc aussi le Sud écrasé par le Nord, un rapport de force que l’on retrouvera plus d’une fois dans les pages qui suivent.
Charles est l’indiscutable grand vainqueur de toute l’opération. Après cette victoire et quelques autres, il reste en titre simple maire du palais. En fait, il est le chef du vaste État dont il rêvait et le premier d’une famille promise à un grand avenir. Son fils Pépin le Bref sera roi. Son petit-fils Charlemagne, empereur. Pour asseoir sur des bases sérieuses cette nouvelle dynastie – on les appellera les Carolingiens –, les chroniqueurs qui leur sont désormais tout dévoués vont faire ce que font toujours les chroniqueurs quand s’installent de nouveaux pouvoirs : ils prendront un soin jaloux à réécrire le passé. Ce sont eux, par exemple, qui trouvent le nom de « rois fainéants » pour disqualifier ad aeternam les Mérovingiens dont on vient d’usurper le pouvoir. Eux qui vont faire de Poitiers le choc fondateur qui aurait sauvé l’Occident tout entier, et de Charles le vaillant défenseur du Christ contre les Barbares infidèles. Dans la réalité des faits, on peut redescendre d’un cran : Charles a combattu les Arabes exactement comme il a combattu les Francs de Neustrie, un royaume rival, ou ceux du Sud de l’Allemagne. La seule chose qui comptait pour lui était de se constituer un royaume, les Arabes sont tombés à point, leur défaite lui a permis de l’agrandir plus encore qu’espéré.
Sarrasins de Septimanie
Côté arabe, en revanche, l’événement en lui-même ne suscite pas grand intérêt. Personne n’aime les défaites, mais celles qui marquent sont consignées. Aucune bibliothèque de Cordoue ou de Grenade ne garde la trace de celle-là, c’est dire le peu de cas qu’on en fit. On sait juste qu’après la bataille perdue, les guerriers arabes sont rentrés chez eux, c’est-à-dire en Septimanie. Ils s’y étaient installés vers 720. Ils n’y seront pas pour très longtemps, c’est vrai. En 759, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, reprend Narbonne et les refoule de l’autre côté des Pyrénées.
Ils seront donc restés sur place quarante ans, une génération entière. On ignore presque tout de cette présence, quel dommage ! Quelques chroniques arabes affirment que les conversions à l’islam furent innombrables, ce qui n’aurait rien de surprenant, on a vu le phénomène se produire dans la plupart des terres conquises. La tradition franque veut au contraire que les Goths de Narbonne aient tellement haï leurs occupants enturbannés qu’ils les ont massacrés dès que les soldats de Pépin campèrent aux portes de la ville. Allez savoir. À part quelques maigres pièces archéologiques, le seul souvenir qui nous reste de ce peuplement ce sont toutes les légendes inventées à son propos bien longtemps après : nombreux sont les érudits de village qui affirment toujours trouver la preuve du passage des Sarrasins dans tous les noms de famille ou de village qui rappellent cette origine, les Maures, les Morin, les Moreau. Pour le coup, le point est assuré : tous les historiens affirment que ces allégations sont fausses.
On sait qu’exista, jusqu’à l’an 972, une petite principauté musulmane au Fraxinet, sur ce qui est maintenant la côte varoise, à côté d’un petit port célèbre pour son nom de saint à défaut de l’être pour ses vertus chrétiennes : Saint-Tropez. La riche et fort complète Histoire de l’Islam et des musulmans en France 2 en parle, mais peu, tout simplement parce qu’on n’en sait pas grand-chose.
Un épisode
Weitere Kostenlose Bücher