Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
préjugés va aussi de pair avec une absence totale de morale et un cynisme poussé à un point rare. « Tragediante, comediante ! » , dira le pauvre Pie VII de son impérial geôlier, qui, face à tous, est capable d’alterner flatteries et menaces, cris effrayants et chuchotements complices, compliments outranciers et mensonges éhontés dans le seul but d’obtenir ce qu’il veut. Quel homme d’État, remarquera-t-on, n’est pas capable d’un peu de tromperie pour faire triompher sa cause ? Certes, mais quelle est la cause que défend Napoléon ? On se le demande, c’est bien la question. Jeune, il était robespierriste et ardent républicain. Arrivé au pouvoir, il ne rêve que d’offrir des couronnes à son clan. Au général Dumas (père d’Alexandre), ancien membre de la Convention, l’Empereur dit : « Vous étiez donc de ces imbéciles qui croient à la liberté ! » Lui ne croit en rien, sinon en lui-même. C’est sa limite.
N’empêche, noteront les contradicteurs, d’une certaine manière il a quand même préservé les acquis de la Révolution. Nous l’avons nous-même écrit plus haut. On peut y revenir : l’assertion est vraie et fausse à la fois. En poursuivant le travail de réorganisation et de modernisation de la France sur le plan de son administration, le Consulat et l’Empire poursuivent l’œuvre commencée par la Révolution. En même temps, ce régime en méprise très ouvertement les aspirations les plus nobles : ainsi, par exemple, l’idéal démocratique. Napoléon est parfaitement capable de dépasser les préjugés de classe quand il s’agit de couvrir d’honneurs ses fidèles : Ney, le « brave des braves », maréchal et « prince de la Moskowa », est fils de tonnelier. Murat, qu’il fera roi de Naples et à qui il donne en mariage sa sœur Caroline, est fils d’aubergiste. En règle générale, il n’a que mépris pour « la canaille ». L’idée, née en 1789, d’un pouvoir émanant du peuple citoyen lui paraît une chimère idiote. Il prend soin, bien au contraire, d’appuyer l’ordre social sur les vrais gagnants de son régime : les notables. Ce sont eux qui peuvent voter, eux qui peuvent détenir les fonctions administratives d’importance, eux qui sont les courroies de transmission du seul pouvoir qui l’intéresse, le sien. Une certaine mythologie romantique a voulu faire croire que la gloire de l’Empire appartenait aux généraux de vingt ans. En réalité, sa solidité administrative devait tout à de tristes bourgeois pansus. Si on ne considère que sa politique intérieure, la France napoléonienne préfigure bien plus la société étriquée de Balzac qu’elle ne poursuit l’élan généreux impulsé par la République.
Bonaparte peut se montrer sur certains sujets d’une grande étroitesse d’esprit : c’est lui qui insiste pour qu’on inscrive dans le Code civil que la femme « doit obéissance » à son mari, quand la Révolution était favorable à une égalité civile entre l’homme et la femme. Il refuse l’éducation publique pour les filles dont le destin, à ses yeux, est fort simple : « Le mariage est toute leur destination. »
Enfin il restaure la paix civile, c’est vrai, mais à quel coût ? Le régime qu’il instaure a un nom qui nous est bien connu, la dictature. Dès son arrivée au pouvoir, les élections sont truquées. Le vote se pratique à livre ouvert. À chaque consultation, on doit écrire publiquement son choix en face de son nom. Et si ça ne suffit pas, les préfets bien intentionnés se chargent de rectifier les décomptes. L’Empereur, avec ses plébiscites, prétend s’appuyer sur l’assentiment du peuple. On voit le cas qu’il en fait.
Partout, dans l’Empire comme évidemment dans les pays occupés, la censure est absolue, les journaux sont muselés. Le courrier est ouvert systématiquement, les lettres privées recopiées. Tout ce qui se met en travers du chemin du pouvoir personnel doit être balayé. « Je n’ai pas encore compris les avantages d’une opposition », avoue candidement notre grand homme. Dès les premières années suivant le coup d’État, Bonaparte va généreusement piocher ses conseillers dans tous les partis, mais il est d’une férocité sans nom avec ceux qui lui résistent. Prenant comme prétexte une tentative d’assassinat contre lui, dont tout indique qu’elle est l’œuvre des royalistes, il fait déporter, en 1801, 130
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