Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
Jacobins. Les détenus politiques seront toujours nombreux. Le culte du chef est sans limites. Passons sur les initiatives personnelles des flagorneurs, il y en a sous tous les régimes. Souvenons-nous des moyens officiels mis au service de la propagande : le « catéchisme impérial » ordonne aux curés d’enseigner aux ouailles, entre autres grands principes théologiques et sacrés, « le devoir d’obéissance » envers l’Empereur et sa politique. Les bulletins de la Grande Armée qui chantent les triomphes de l’Aigle indomptable sont lus dans les écoles, sur les scènes et dans les prêches, avec cette obsession du bourrage de crâne qu’on ne retrouvera à ce niveau que dans les régimes les plus sinistres du xx e siècle.
L’ogre et les grognards
Tout de même !, s’exclamera-t-on. Et la gloire, les victoires, toute cette épopée qui fit tant rêver les générations qui suivirent ? Et la grandeur de la France, rendue à son sommet ? Vraiment ?
Le premier revers de cette belle médaille qui vient à l’esprit est évidemment son coût humain. Un million de morts français selon la plupart des estimations, trois millions de victimes au total, cela fait cher payé le défilé sous l’Arc de Triomphe. On dira que la critique n’est pas neuve. C’est exact. Elle apparaît dès la restauration sur le trône des Bourbons, pour saper le souvenir de celui que la propagande royaliste nomme le « boucher ». Dès la fin de son règne, dans les campagnes, en murmurant, on l’appelait l’« ogre », parce que ses besoins en hommes étaient tels qu’il faisait enlever les enfants de plus en plus jeunes. Nombreux sont ceux qui refusèrent d’ailleurs de s’enrôler. Vers la fin du régime, on comptait plus de 100 000 réfractaires cachés dans les forêts et les montagnes pour échapper à ce qui ressemblait à un voyage vers l’abattoir. On reste à s’interroger sur les motivations des centaines de milliers d’autres qui y sont allés. La légende napoléonienne a essayé de forger le souvenir des « grognards », ces râleurs invétérés mais toujours tellement valeureux, prêts à mourir pour leur empereur. Sans doute y en avait-il. Et combien d’autres, pauvres gosses emmenés de force, à qui on a fait parcourir l’Europe à la marche, les pieds saignant dans de mauvaises chaussures, écrasés par un barda, pour finir fauchés par une fusillade dans ces batailles terribles qui laissaient, au soir, 20 000 ou 25 000 cadavres sur un champ d’herbe, sans autre dernier hommage que la visite des détrousseurs. Morts pour quoi, morts pour qui ?
Et après ? diront les cocardiers, finissons-en avec cette vieille chanson de pacifistes d’arrière-garde chantée cent fois ! L’Empereur a quand même fait beaucoup pour la France. Ce point-ci est important, tant il passe pour une évidence. C’est en effet une évidence, mais elle joue à l’inverse : si l’on s’en tient à un seul point de vue patriotique, le bilan de l’Empire est clair, c’est un désastre. Napoléon a beaucoup gagné, c’est vrai, mais il n’a su consolider aucune conquête et a tant perdu au final qu’il laisse la France beaucoup plus petite qu’il ne l’a trouvée. Le Directoire, en partie grâce à lui d’ailleurs, avait agrandi considérablement le territoire et constitué autour de la République une ceinture de « républiques sœurs » qui la protégeaient. Quinze ans plus tard, les conquêtes sont parties en fumée. Nice et la Savoie sont perdues, elles ne redeviendront françaises qu’en 1860. Le Rhin, pour les révolutionnaires, faisait partie des « frontières naturelles » de la France, exactement comme le sont toujours pour nous les Pyrénées ou l’Atlantique. La France ne reprendra jamais pied sur sa rive gauche. Enfin, tout à ses chimères de domination de l’Europe, dans le vague espoir de s’attirer le soutien des Américains contre l’ennemi anglais, Bonaparte a commis ce qui peut sembler une erreur incroyable : il a vendu aux États-Unis, et pour une bouchée de pain, l’immense Louisiane – environ le quart du territoire américain actuel. Nous parlions du rayonnement de notre pays. Imagine-t-on sa puissance si cette gigantesque province était restée pendant quelques décennies encore notre cousine ?
« Guerres de la liberté » contre tyran français
N’oublions pas, enfin, un point de vue trop facilement omis par les Français : celui des
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