Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
conspirations, les complots et les attentats, souvent très violents, ourdis par toutes les tendances. Avec ça, la dureté abominable des conditions de travail dans les ateliers et les usines conduit à quelques terribles explosions sociales. Les plus célèbres sont les deux révoltes des canuts de Lyon, les artisans de la soie. En 1831, puis en 1834, ils investissent Lyon pour protester contre la baisse de leurs salaires, et le roi, pour toute réponse, fait envoyer la troupe.
Pour autant, malgré son goût de la répression la plus musclée, le régime se vit comme celui du raisonnable, du ni trop ni pas assez. On parlerait aujourd’hui de centrisme, on disait à l’époque « le juste milieu ». On a pu dire d’hommes d’État du xx e siècle comme le président Giscard d’Estaing, ou l’ancien Premier ministre Édouard Balladur qu’ils perpétuèrent cette tradition de l’ orléanisme : un peu de modernité dans la manière, aucun changement dans l’ordre social, et une confiance absolue dans les vertus de la prospérité économique – mais uniquement celle des possédants, cela s’entend. Louis-Philippe se veut le « roi bourgeois » ; il dédaigne le cérémonial ; on le voit promener dans Paris sa fameuse silhouette en forme de poire, portant au bras son légendaire parapluie et soulevant son chapeau de l’autre main pour saluer les commerçants. En fait, il n’aime rien tant que les comptes et les banquiers. L’austère Guizot, son plus célèbre ministre, n’est pas fermé au peuple, il a favorisé l’instruction primaire en imposant à chaque commune de posséder au moins une école. Il a aussi donné le ton en lançant un jour sa plus célèbre formule : « Enrichissez-vous ! » Amasser du bien, donner au pays un destin d’épicier, tel est tout l’horizon. L’époque est gaie comme un conseil d’administration un jour de dividendes. Ceux qui n’y ont pas accès n’ont qu’à ronger leur frein. « La France s’ennuie ! », s’écrie bientôt Lamartine, le grand poète, et le plus célèbre leader de gauche de cette époque.
À la fin des années 1840, le pays fait plus que se morfondre, il étouffe. L’opposition est muselée, le droit de réunion bafoué. Les républicains organisent des banquets, c’est le seul moyen qu’ils ont trouvé pour s’exprimer. Le gouvernement enrage. En février 1848, un de ces banquets est interdit à Paris. Le 22, les étudiants, bientôt joints par une foule immense, manifestent leur colère. Ils obtiennent un premier succès : le départ de Guizot. Le 23, une seconde manifestation dégénère ; la troupe tire, il y a des morts. Le 24, on promène les cadavres dans une charrette. Le 24, Louis-Philippe abdique, Lamartine proclame la république. Elle succède à celle de 1792. On pense qu’elle sera définitive et qu’il n’y en aura pas d’autre après, on l’appelle donc la Seconde République.
La Seconde République
Au départ, elle est généreuse. La révolution de 1789 ne jurait que par l’égalité et la liberté. Celle de 1848 adjoint la dernière carte du brelan : la fraternité. On veut cette fois changer le monde sans effusion de sang. Deux jours après la fin de la monarchie, la peine de mort en matière politique est abolie, puis bientôt l’esclavage. Dans les villages, les prêtres bénissent les arbres de la liberté. En ville, où le droit de réunion est redevenu total, la société est prise d’une inextinguible envie de paroles. On débat à n’en plus finir. Quelques pages magnifiques de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert rendent compte de ce joyeux bordel. Il n’est pas sans rappeler celui qui saisira la France cent vingt ans plus tard, en mai 1968. Il ne dure pas, hélas.
Depuis son accouchement, le régime est boiteux. Au moment même de la révolution, deux gouvernements concurrents s’étaient formés dans Paris. Ils avaient vite décidé de s’unir pour n’en former qu’un seul, mais il était bien mal assorti. Depuis fin février, le pouvoir est donc partagé entre une tendance qu’on pourrait dire républicaine – avec des gens comme Lamartine, Arago, ou, à leur gauche, Ledru-Rollin – et une autre, plus franchement socialiste – représentée par des personnalités comme Louis Blanc ou son ami, le journaliste et fils du peuple qu’on appelle « l’ouvrier Albert ». Les seconds, au nom de leurs idéaux, ont poussé à proclamer un « droit au
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