Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
d’un coup la montagne d’une unité immédiate, les « pères de l’Europe », comme on les appelle (dont les Français Jean Monnet ou Robert Schuman, à côté de l’Allemand Konrad Adenauer, du Belge Paul-Henri Spaak ou de l’Italien Alcide De Gasperi), ont l’idée de réaliser l’union par petits morceaux en imbriquant peu à peu les économies : entre les six pays fondateurs (France, Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) on commence donc, au début des années 1950, par intégrer la production du charbon et de l’acier. Puis on en vient, avec le fameux traité de Rome de 1957, à l’idée d’un « marché commun » – c’est-à-dire une suppression totale des barrières douanières –, accompagné d’une « politique agricole commune » – pour aider à un développement harmonieux entre les différentes agricultures. Pour quelques vrais fédéralistes, cette manière de procéder est la source de tous les maux. C’est ce réalisme froid, cette logique de boutiquier et de technocrates qui ont conduit au désamour actuel des peuples envers l’idée européenne : qui rêve de fin des taux de change ? Quel patriote est exalté à l’idée de se battre pour des histoires d’harmonisation fiscale auxquelles personne ne comprend rien ? Pour d’autres, ce réalisme prudent a montré son efficacité par ce fait même : plus de cinquante ans après ses premiers pas, avec un nombre de pays membres qui a quadruplé (6 en 1957, 27 en 2007), l’union fonctionne toujours. C’est bien la preuve qu’elle n’était pas si mal partie. Ils notent également la mauvaise foi dont sont capables les opinions publiques et les gouvernements, toujours ravis d’oublier le rôle positif qu’a joué cette grande machine dans le développement économique de leur pays, toujours prêts à la maudire de n’être pas assez présente quand la récession menace. Ce n’est pas faux non plus.
Une certaine idée de la France
En 1958 donc, sous le képi redoré d’un général qui entame en grande forme sa deuxième carrière, la France est prête pour un nouvel élan, même s’il part sur un faux pas. De Gaulle, on vient de le voir, est revenu au pouvoir porté par les espoirs bruyants des partisans d’une Algérie totalement française. Quelques jours à peine après son investiture, en juin 1958, à Alger, il lance à la foule majoritairement formée de pieds-noirs venus l’acclamer sa célèbre formule : « Je vous ai compris ! » Elle reste, jusqu’à aujourd’hui, une des plus fascinantes fadaises de notre histoire. L’exclamation fit d’autant plus de bruit qu’elle est d’un vide intersidéral, puisque personne n’a jamais réussi à comprendre clairement qui le général avait compris, ni quoi.
Toujours est-il que quatre ans plus tard, il se résout à en finir avec une guerre qu’il sait gagnable militairement, mais perdue politiquement, et se décide à lâcher une colonie qui lui semble désormais un « boulet » accroché au pied de la métropole. Pour les Français d’Algérie, obligés bientôt de fuir en masse leur terre natale, il s’agit d’une traîtrise impardonnable. Pour les Français de France, c’est un soulagement : les accords d’Évian qui accordent l’indépendance à l’Algérie et mettent fin à une sale guerre dont plus personne ne voulait sont approuvés, lors d’un référendum, par 90 % des votants. Les décolonisations des autres pays africains se sont passées dans le calme (ils ont presque tous opté pour l’indépendance en 1960). La France est donc, au début des années 1960, un pays plus petit mais en paix et prospère – l’Occident, porté par le boom de la reconstruction de l’après-guerre, vit ses « Trente Glorieuses ». Le Général peut s’adonner à son péché mignon, faire aux quatre coins du monde de grands discours vibrants d’émotion contenue pour montrer de quel bois on se chauffe lorsqu’on est patriote et indépendant. À Phnom Penh, au Cambodge (en 1966), il dénonce l’intrusion américaine dans la guerre du Vietnam ; un an plus tard, au moment de la guerre de 1967, il renverse la position jusqu’alors très pro-israélienne de la France en condamnant l’État hébreu et son « peuple dominateur et sûr de lui » ; par deux fois, il bloque l’entrée de l’Europe à la Grande-Bretagne, ce « cheval de Troie » des États-Unis, auxquels il demande par ailleurs d’évacuer les bases
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