Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
de notre pays.
Quelles sont ces menaces, quels sont ces défis ? C’est le problème. Chacun, selon son point de vue, en a une idée claire, mais personne n’a la même.
Le danger, dit une partie de la droite, rattrapant en cela ce que disait depuis des décennies l’extrême droite, c’est l’immigration, cet afflux de populations misérables issues de civilisations extra-européennes qui ne pourront jamais s’intégrer à notre système de valeurs et menacent de dissoudre l’identité de la France. Erreur stupide, répond la gauche. Accuser les immigrés revient à s’en prendre au bouc émissaire classique. L’identité française n’est pas une notion figée à jamais dans le marbre d’un passé soi-disant glorieux, c’est un mouvement perpétuel. Les immigrés d’aujourd’hui sont les Français de demain. Le vrai danger est autre, c’est le capitalisme financier, grande machine destructrice qui pousse les peuples à la misère au profit de quelques-uns, toujours plus puissants, toujours plus riches. Vieilles lunes !, s’écrient alors les libéraux. Le capitalisme n’est pas un mal, il est le seul système qui permette la prospérité, c’est pourquoi il ne faut pas le combattre, mais s’adapter à lui.
Depuis des années maintenant, les médias, les campagnes électorales résonnent de ces débats toujours ressassés, jamais conclus. Ne cherchons pas ici à les trancher frontalement. Essayons, une dernière fois, de suivre la méthode qui fut la nôtre, en nous efforçant de regarder les choses autrement.
L’étude du passé nous permet tout d’abord d’éviter un piège courant, celui de la nostalgie. La France serait en déclin, entend-on souvent, sa grandeur est passée. Avant, c’était mieux. « Avant » ? Mais quand exactement ? Tentez une expérience simple, feuilletez ce livre à l’envers, et cherchez une seule époque de notre passé où vous auriez voulu vivre. Alors ? En 1910, par exemple, au temps de cette France puissante, gouvernant un quart du monde ? Préparez donc l’uniforme, dans quatre ans vous aurez à affronter l’enfer des tranchées, la guerre et ses millions de morts, merci. En 1810 ? Cette fois ce sera l’horreur des guerres napoléoniennes. En 1710 ? Admettons que cela soit tentant, pour l’infime minorité qui aura la chance de se retrouver dans l’habit chamarré d’un bel aristocrate. Et encore, pas à Versailles. En cette fin de règne de Louis XIV, la vie y était sinistre. Que dire des 90 % qui se réincarneront en paysans misérables au ventre creux et au dos cassé par l’ouvrage ? On a compris le jeu. La comparaison avec le monde d’hier ne doit pas nous mener à admirer benoîtement celui d’aujourd’hui. Elle peut nous servir à en relativiser les inconvénients, cela n’est déjà pas si mal.
Le goût de l’histoire nous enseigne une autre vertu, la modestie dans le jugement. Quand on les regarde avec la distance du temps, toutes les périodes passées frappent par leur propre aveuglement. Comment les gens ont-ils pu se massacrer avec cette férocité à propos de points de théologie qui nous paraissent si vains ?, se demande-t-on en songeant aux guerres de Religion du xvi e siècle. Comment les aristocrates du xviii e ont-ils pu être assez bêtes pour bloquer toutes les réformes et jouer ainsi le jeu qui devait conduire à une révolution qui leur serait fatale ? Comment des peuples entiers ont-ils pu se laisser conditionner pour accepter la Première Guerre, et surtout la faire ? On comprend rarement les choses quand on les vit. Les siècles prochains auront sans doute le plus grand mal à comprendre notre aveuglement ou notre laxisme face à des problèmes que nous ne concevons même pas. La loi est éternelle, nous n’y échapperons pas. On peut essayer, toutefois, au regard des exemples passés, d’en comprendre un ou deux mécanismes. Souvent, les contemporains d’une époque donnée souffrent de ce que l’on pourrait appeler l’angle mort, c’est-à-dire l’incapacité à voir le problème qui, un peu plus tard, paraîtra énorme, l’incapacité à sentir la fumée qui s’échappe d’un feu qui couve et qui est prêt à flamber. Quel sera notre angle mort ? Le désastre écologique, le refus de voir le tort que la production humaine fait à la planète ? L’incapacité à construire des digues efficaces pour empêcher la finance de tout détruire ? L’impuissance à faire comprendre
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