Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
retrouvent bientôt dans l’œil du cyclone, dans la ligne de mire de cette police religieuse mise en place sur la demande des Rois Catholiques et avec l’autorisation du pape : l’Inquisition. La sinistre institution durera trois siècles et demi et formera un des systèmes de terreur les plus efficaces que l’humanité ait connus.
Une broutille, un rien suffisait pour envoyer quelqu’un au cachot : des voisins affirment qu’on n’a pas vu de feu sortir de la cheminée un samedi ? C’est donc qu’on fait le sabbat des Juifs en secret. Un aubergiste affirme qu’on a refusé un morceau de porc ? C’est bien qu’on est toujours un chien de mahométan. La subtile organisation de la justice est à l’avenant de cette horreur : son principe de base est que le suspect, qu’on laisse moisir dans son cachot pendant des mois, ne doit jamais savoir de quoi il est accusé, ni qui l’a accusé. Puisqu’il est forcément coupable, il sait bien lui-même de quoi. Parfois on le relâche, souvent on lui fait expier ses fautes devant la ville tout entière rassemblée, dans ces grandes cérémonies où l’on brûle tout à la fois les livres et les hérétiques, les autodafés .
Et pourquoi donc, direz-vous, parler de l’Inquisition espagnole dans un chapitre qui entend traiter de « la Renaissance ». Précisément parce qu’on ne la traite jamais dans un tel endroit. Bien sûr, cette Inquisition-là (très différente de l’Inquisition médiévale dont on a parlé plus tôt) est un phénomène strictement espagnol (puis portugais). N’empêche : il est contemporain du grand essor humaniste qui saisit toute l’Europe, et ce pays n’a pas échappé au bouleversement des esprits alors à l’œuvre. Charles Quint lui-même a été conseillé par le grand philosophe hollandais Érasme et son pays a connu la même évolution artistique, littéraire que tous les autres pays européens et, à une génération près, autant de génies que l’on célèbre toujours : l’admirable Cervantès (1547-1616), père de Don Quichotte , l’inspiré Greco (1541-1614), peintre crétois mais qui fait la gloire de Tolède. Il a aussi connu, exactement au même moment, cette terreur religieuse avec ce qui l’accompagne, le bâillonnement de la pensée, l’instrumentalisation de la justice.
Quel lien faut-il faire alors entre la face radieuse de l’époque et son visage grimaçant ? Je le répète, je n’en sais rien précisément. Je note simplement qu’il faut se garder de parler de l’une et d’oublier l’autre, et qu’il faut conserver un œil critique sur la notion historique qui est au cœur même de ce chapitre, la notion de « période ».
Pour ce qui concerne la Renaissance, cette critique est faite, depuis fort longtemps, par les plus grands historiens et tout particulièrement ceux de la période qui précède : les médiévistes. On peut les comprendre. L’idée que le xvi e siècle renoue avec la grandeur de l’Antiquité suppose que les mille ans qui se sont passés entre les deux n’aient été rien d’autre qu’une parenthèse de déclin, les « âges obscurs » dont on parlait, le « Moyen Âge » c’est-à-dire littéralement un entre-deux sans intérêt. On explique parfois que les hommes du xv e et du xvi e ont eu le sentiment sincère de vivre des temps nouveaux en se référant uniquement à la sombre et courte période qui avait précédé : la Grande Peste de 1348, la guerre de Cent Ans et son cortège de ruine et de malheurs que le monde venait de vivre les aveuglaient. Faut-il pour autant, aujourd’hui encore, à cause d’un siècle terrible (la période qui va de 1350 à 1450), jeter l’opprobre sur mille ans ? On l’a vu, ce fameux « Moyen Âge » connut lui aussi des périodes de faste, d’allant, de prospérité, il eut aussi ses « renaissances » : la renaissance carolingienne, du temps de Charlemagne, la renaissance des xii e et xiii e siècles, avec, là aussi, ce grand bond en avant de la connaissance dû au développement des universités ; avec, déjà, la redécouverte des philosophes anciens grâce aux Arabes. De grands médiévistes comme Jacques Le Goff réfutent d’ailleurs le découpage traditionnel du temps et en proposent un autre : pour eux, la renaissance telle qu’on la présente est une notion creuse, il n’y a eu, depuis l’Antiquité, qu’une longue continuité, un Moyen Âge qui s’est terminé au xix e siècle avec
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