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Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises

Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises

Titel: Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Reynaert
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euphémisme. Les Indiens ont « rencontré » les conquistadors comme la victime rencontre les balles du peloton d’exécution.
    Quoi qu’il en soit, plus grand monde aujourd’hui n’ignore cette façon de voir les choses, les mentalités ont évolué, et c’est heureux, car on sait tous qu’il y a peu de temps encore l’histoire n’était pas racontée ainsi. Ouvrons par exemple un des livres de référence des années 1970 chez les Anglo-Saxons, l’ Oxford History of American People 2 de Samuel Eliot Morison, amiral et universitaire, fort célèbre en son temps. Il représente parfaitement le point de vue conventionnel de l’époque, c’est-à-dire celui qui dominait chez 80 % des Blancs. Voyons comment la conquête y est racontée. C’est assez vite vu. Les Espagnols étaient des bienfaiteurs. N’ont-ils pas amené le vrai Dieu à ces « Indiens dont la religion exigeait le meurtre de milliers d’innocents chaque année » ? N’ont-ils pas amené ensuite « les beaux-arts » et les églises qui donnent à leurs villes « cet air de grandeur » ? En clair, les Indiens étaient des sauvages à qui les Européens ont donné « la civilisation », air connu. Que les mêmes « sauvages » aient payé ce merveilleux cadeau de millions de victimes, il n’est pas dit un mot, le fait ne passe pas sous la casquette de notre historien amiral.
    Comme tant d’autres avec lui, l’homme raisonnait toujours, au milieu du xx e  siècle, avec les schémas du xix e  et son idée-force de « mission civilisatrice » de l’Occident. Elle permit à un continent d’asservir le monde sans se préoccuper des dégâts occasionnés par cet asservissement. On oublie trop au passage que bien des grands esprits s’étaient scandalisés de cette contradiction longtemps avant notre époque. Nous croyons que l’intérêt pour le sort des populations découle de nos mentalités modernes. C’est faux. La mise en cause des horreurs du xvi e  siècle occupait déjà nombre de contemporains. Citons le Français Montaigne, dans ses Essais (livre III, chap.  vi ) : « Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée et la plus riche et belle partie du monde bouleversée par la négociation des perles et du poivre… : méprisables victoires ! » Il écrit cela dans les années 1580, c’est-à-dire soixante ans à peine après les premiers pas des conquistadors au Mexique.

    Le plus célèbre des dénonciateurs de l’horreur de la Conquista est espagnol : c’est le dominicain Las Casas. Il sait de quoi il parle, il fut colon dans les Antilles, puis, entré en religion, il devint évêque du Chiapas, au Mexique. Il n’a de cesse de dénoncer les massacres, les tortures dont les Indiens sont victimes. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ses protestations ne sont pas des cris isolés que personne ne veut entendre. Elles arrivent jusqu’à l’oreille de l’empereur et roi d’Espagne Charles Quint. Ému, scandalisé même par ce qu’on lui raconte, il ordonne qu’on mette fin aux abus, et promulgue les leyes nuevas , les « lois nouvelles », faites pour atténuer le système terrifiant mis en place, l’ encomienda , c’est-à-dire la réduction en esclavage des Indiens. Mais les colons refusent de les appliquer et Las Casas, inlassable, reprend son combat. Il lui fera affronter un autre érudit de son temps, Sepulveda, lors d’une dispute publique, la « controverse de Valladolid 3  ».
    Le point passionnant de la polémique est que les deux hommes partent des mêmes présupposés intellectuels : tous deux sont chrétiens, tous deux ont baigné dans la culture humaniste dont nous parlions au chapitre précédent. Las Casas bien sûr, mais Sepulveda aussi, qui est un homme instruit, un esprit qui se veut ouvert, qui a lu les bons auteurs. Seulement, lire les bons auteurs ne doit pas être suffisant pour penser juste, puisqu’il s’en sert pour arriver à des conclusions qui nous font horreur : en se fondant sur Aristote, il pose que certaines races sont vouées par Dieu à être asservies par d’autres. Son adversaire Las Casas a un point de vue plus proche du nôtre : pour lui, les Indiens sont des hommes, nos frères, nos égaux et il est scandaleux de les maltraiter. Hélas, son opiniâtreté et la justesse de ses vues ne serviront à rien : les conquérants continueront à piller et les Indiens à mourir

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