Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
sous leur joug.
C’est le point déprimant. Aujourd’hui, la conquête des Indes nous apparaît clairement comme un effroyable carnage, mais avec cinq siècles de recul, toute notre commisération ne fera ressusciter ni les victimes ni les civilisations séculaires englouties avec elles. Il y a cinq cents ans quelques hommes courageux tentèrent d’arrêter le massacre, leur époque était parfaitement capable d’entendre leurs arguments. Elle est restée sourde.
Qu’est-ce qu’une civilisation supérieure ?
Avec chacun une poignée d’hommes, Cortés au Mexique, Pizarro au Pérou ont conquis en un temps record deux empires extraordinaires et puissants, qui régnaient sur des terres immenses et des centaines de milliers de gens. Il est difficile de nier l’évidence : si les Espagnols ont vaincu, c’est qu’ils étaient les plus forts. On peut néanmoins s’interroger sur les raisons avancées pour expliquer cette victoire. On le verra, cela permet un tour d’horizon de quelques-unes des facettes amusantes de l’ethnocentrisme.
Les conquistadors, bons chrétiens, étaient sûrs de leur supériorité sur les sauvages qu’ils ont dominés. On vient d’en parler, ils étaient assez mal placés pour donner à quiconque des leçons de morale. Il est un de leurs sentiments, toutefois, que l’on ne peut que partager : l’horreur qu’ils ont éprouvée devant un rite répandu, le sacrifice humain. Chez les Incas, il était rare. Les Aztèques, en revanche, le pratiquaient à très grande échelle, des dizaines de milliers de prisonniers de guerre étaient immolés chaque année à des dieux assoiffés. Quand les Espagnols sont arrivés à Tenochtitlan, du sang tout chaud encore, dit-on, ruisselait sur les escaliers majestueux des grandes pyramides où se consommait cet holocauste. Nul ne songerait à défendre cette épouvante. Pourquoi, cependant, personne ne songe à la mettre en parallèle ou au moins à tenter une équivalence avec ce qui se pratiquait, au même moment, en Occident ? Les bûchers de l’Inquisition espagnole, par exemple, ou encore les massacres presque contemporains des guerres de Religion. Comment ? Ça n’a rien à voir ! s’exclamera-t-on. Vous confondez tout ! Vraiment ? D’un côté, pour satisfaire ses dieux, on immole des innocents, de l’autre on en brûle, on en assassine au nom de la Sainte Foi ou de la conception que l’on se fait soi-même de son Dieu. L’intention n’est pas la même, le rite est tout autre, certes, mais pour la victime, franchement ? Entre celui qui périt sous le couteau d’obsidienne dont se servaient les prêtres indiens et celui qui meurt sur les fagots dont se servaient les prêtres catholiques, quelle différence ? Citons encore Montaigne, dont on ne se lasse pas : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »
Les Indiens ont été victimes de leur crédulité. Les pauvres « bons sauvages » des Antilles qui accueillirent les premiers Espagnols avec des fruits et des présents, mais aussi les très civilisés Aztèques. Ainsi, lorsque paraît Cortés, blanc et barbu, sur son cheval, animal inconnu, l’empereur Moctezuma croit-il d’abord au retour du dieu Quetzalcóatl que l’on attend depuis si longtemps ? Il lui offre cadeaux et sacrifices humains, il le fait venir dans sa capitale. Quand il s’aperçoit de sa méprise, il est trop tard, le loup est dans la place. L’histoire est connue. Elle enfonce le clou à propos d’Indiens abusés par leurs croyances et leur mysticisme. Le point est indiscutable. Pourquoi oublier cependant qu’une même crédulité fut le principal moteur de la conquête par les Européens ? Qu’est-ce qui pousse au voyage, qu’est-ce qu’on vient chercher dans ces terres que l’on croit être les portes de la Chine ? Des certitudes ? Pas du tout : les richesses parfaitement légendaires décrites par Marco Polo dans le récit de ses voyages. Ou encore l’idée qu’en faisant le tour du globe, on va pouvoir prendre les musulmans à revers en faisant alliance avec le « Prêtre Jean » et son immense royaume chrétien d’Afrique – parfaitement légendaire également. Bien sûr, il y a, pour inciter à la première traversée de Colomb, une base juste : le pari sur la rotondité de la Terre. Qu’y a-t-il d’autre qui soit rationnel chez ce mystique exalté qui, après avoir cru des années qu’il était vraiment arrivé en Inde, mourra seul en Espagne,
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