Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
pas facile à endosser pour lui. À Gand, Charles a été élevé en français. Quand il débarque en Espagne à dix-sept ans, il ne parle pas un mot de castillan, il est entouré de Flamands qui vont vite se faire détester, et il lui faudra mater bien des révoltes, bien des remontrances de parlements, bien des particularismes pour se faire accepter. Il n’est pas plus autrichien ni allemand . Il est un peu de tout ça, voyageant sans cesse d’un bout à l’autre de son empire, poursuivant partout un seul rêve, refaire ce qu’avait presque réussi Charlemagne, une monarchie universelle où régneraient la paix et la foi catholique. Cela n’a pas marché, c’est indéniable. Il y eut la guerre, et, pis encore à ses yeux, l’hérésie religieuse : c’est sous son règne qu’éclate la Réforme de Luther, qui va tenter tant de princes allemands et déchirer son univers. Brisé par la fatigue, les tensions, le découragement, Charles abdique en 1555 et meurt trois ans plus tard dans un sombre monastère d’Estrémadure, après avoir scindé son bien en deux. À son fils Philippe, l’Espagne, mise ainsi sur les chemins de l’État unifié. À son frère, le Saint Empire, éclaté par les querelles religieuses et qui ne sera plus bientôt qu’une coquille vide.
Un autre, qui sait ?, aurait pu lui inventer une autre unité. Un autre qui, lui aussi, s’était rêvé un moment en nouveau Charlemagne et avait, lui aussi, tenté sa chance lors de l’élection de 1519 à l’issue de laquelle les traditionnels sept « princes-électeurs » avaient préféré Charles Quint : un certain François I er . En général, on présente cette candidature française comme une pure manœuvre pour faire enrager le vilain Habsbourg, ou comme le caprice d’un jeune prince vaniteux. On écrit aussi que Charles a gagné parce qu’il avait plus d’or pour acheter les votes. François en a dépensé beaucoup de son côté, et le résultat s’est joué à fort peu. Imaginons que notre roi ait gagné. Sur un plan géographique, en tout cas, l’union de la France et de la zone germanique était plus naturelle que le curieux mariage avec l’Espagne qui advint. Que se serait-il passé ? Aurait-on vu naître au cœur de l’Europe une gigantesque Françallemagne que le Valois aurait conduite sur les chemins de l’État centralisé et unifié, comme il le fit pour la seule France ? Ou aurait-il inventé un nouveau modèle d’État plus souple, presque fédéral, tenant compte des différents peuples et des différentes cultures le composant ?
Ailleurs, et à la même époque, d’autres souverains et d’autres peuples mettaient au point d’autres cadres. Ainsi Soliman et ses Ottomans dont nous parlions plus haut. Vu d’Europe occidentale, on ne peut s’empêcher le plus souvent de considérer comme d’exotiques Barbares ces Turcs, arrivés de l’Asie centrale, convertis à l’islam, qui en quelques siècles ont conquis l’ancien empire de Byzance. La prise de Constantinople par Mehmed le Conquérant est toujours tournée en catastrophe. C’est le point de vue de la propagande chrétienne. Les Ottomans ne l’ont pas vécue ainsi. Mehmed est lui aussi, à sa manière, un souverain de la Renaissance, lui aussi est un homme cultivé, lui aussi fait venir à sa cour des peintres italiens, lui aussi aime les classiques et admire l’Antiquité. Ainsi, sitôt entré dans Constantinople, il prend le titre de Kayser-i-Rum , c’est-à-dire « empereur des Romains ». On l’oublie toujours de notre côté de l’Europe : le rêve ottoman est, au nom de l’islam bien sûr, de refaire l’empire de Constantin. Cela nous paraît curieux. Pourquoi ? Charlemagne l’a bien refait. Pourquoi un Turc serait-il plus barbare et moins à même de restaurer la Rome antique qu’un guerrier franc ? Certains historiens prétendent qu’il était éventuellement prévu, dans l’alliance avec François I er , un partage de l’Italie. Les Français au nord, les Turcs-nouveaux-Romains au sud. Cela ne fut pas. Cela n’empêcha pas les Ottomans d’inventer un modèle d’empire qui n’eut pas que des inconvénients. Il n’avait rien d’un univers idéal : on y pratiquait l’esclavage, on avait le goût de la guerre. Mais aussi, au fil des conquêtes, on apprit à composer avec les différentes nations dans un jeu subtil et assez respectueux. Ainsi les Ottomans, musulmans, entendaient-ils que l’islam soit la
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