Nostradamus
Seulement ces costumes étaient faits d’étoffes fines.
C’étaient des servantes qui sentaient la grande dame déguisée.
Elles étaient fringantes. Nos quatre estafiers
louchaient.
Il y avait une blonde, une châtaine, une
rousse et une brune. La blonde eut Trinquemaille, la brune eut
Strapafar, la rousse eut Bouracan et la châtaine Corpodibale. Vers
le chapon aux perdreaux, elles s’assirent près de nos estafiers.
Vers les vins d’Espagne, elles consentaient à se laisser pincer la
taille ; mais Bouracan ayant voulu embrasser sa rousse reçut
un soufflet d’une main fine, mais sévère. Trinquemaille invoquait
saint Pancrace au secours de sa vertu ; Corpodibale chantait
une sérénade de son pays ; Strapafar roulait des yeux
incandescents.
Cette soirée-là resta dans leur mémoire comme
un rêve.
Nos braves, sur les onze heures et demie,
étaient ivres de Vin, de palabres, d’attendrissement, d’amour. Il
leur restait à connaître l’ivresse de l’amour-propre satisfait. Il
paraît que les drôlesses avaient appris à fond l’art de la
flatterie. La rousse, abandonnant tout à coup son élégante
prononciation, se prit à dire :
– Ha, mein gott, mentsir Bouracan, il
être choli carçon !
Strapafar traduisit l’admiration de ses
camarades :
– La roussotte, elle hable lou patois à
Bouracan, vaï ! Bouracan eut un moment de stupeur
émerveillée.
– Ya, dit-il, che lui abrends à barler
vrançais.
Les autres l’enviaient, ce coquin de Bouracan.
Mais alors :
– Vivadiou, mon pigeoun, gasconna la
brune, nous autres Parisiennes, nous sommes du pays de nos
amoureux, que !
Strapafar demeura écrasé de joie. Corpodibale
fut foudroyé d’orgueil.
– Per la madonna lavandaia, cria la
châtaine, c’est que l’amore, il est oune bien belle çose !
– Mesdemoiselles, soupira la blonde,
modérez ces transports dont il vous faudra vous confesser.
Trinquemaille pleura de pieuse allégresse. Ils
connaissaient tous le triomphe de la vanité.
Or, phénomène remarquable, nos braves, du fait
de ce triomphe, s’avisèrent tout à coup d’avoir des
scrupules ! C’est pourquoi Bouracan, le meilleur des quatre,
poussa un sanglot.
– Qu’est-ce gu’il afre ? s’effara la
rousse.
– Sacrament ! dit gravement
Bouracan. Nous afre ouplié notre vaction ! Nous afre berdu
Montsir ti Beaurevers !
Les spadassins baissèrent la tête ; ils
se jugeaient coupables. Avoir oublié qu’ils étaient là pour veiller
sur Le Royal ! Ils levèrent des yeux timides vers leurs
colichemardes pendues au mur. Alors, ils firent, pour quitter leurs
escabeaux, un robuste effort. Ils retombèrent accablés.
– Nous sommes déshonorés, dit
Strapafar.
Les trois autres approuvèrent puis vidèrent
leurs gobelets que les jolies servantes s’étaient empressées
d’emplir. À ce moment, l’une d’elles – c’était la brune – ayant
souri d’un sourire capable de les damner :
– Mes pigeouns, dit-elle, vous n’êtes pas
déshonorés. Le Royal de Beaurevers n’est plus dans l’hôtel au
pont-levis, dans le logis du sorcier Nostradamus. Il n’a plus
besoin de vos rapières. Et il nous a envoyées pour vous le
dire.
Il y eut le cri de quatre consciences
soulagées. On hurla qu’il fallait boire à cet heureux événement. On
but.
Mais la joie devint du délire lorsque la
blonde, déposant quatre bourses sur la table :
– Et voici deux cents écus pour
chacun !
– C’est Myrta qui nous envoie cela !
C’était convenu.
La blonde échangea avec ses compagnes le coup
d’œil de la comédienne à qui on donne une réplique
inattendue :
– Oui, c’est Myrta, dit-elle en se
remettant.
À ce moment, et comme minuit sonnait, il y eut
dans la rue comme un bruit sourd de troupes en marche. Mais nos
braves n’entendirent rien dans le bruit de leurs gobelets
heurtés.
Sur un signe de ses camarades qui semblait
dire : « C’est le moment »
,
la rousse
reprenait alors :
– Le Royal de Beaurevers est parti de
Paris.
– Sans nous ! fit douloureusement le
chœur des estafiers.
– Il veut être seul, désormais, affirma
solidement la brune.
Cela s’accordait si bien avec ce que Le Royal
leur avait répété deux ou trois fois qu’ils n’eurent pas un
doute.
– Hélas ! fit Trinquemaille, ce
n’est pas en vain qu’il nous a fait ses adieux chez Myrta. Nous ne
le reverrons plus…
– Qu’allez-vous devenir ? continua
la roussotte. Vous
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