Nostradamus
grimaçant
entra.
– Qu’y a-t-il, Djinno ? fit
Nostradamus sans se retourner.
– Ils sortent du Louvre. Le coup de
sifflet me prévient.
Nostradamus se leva.
– Promettez-moi, dit-il, de ne pas sortir
de cette chambre, quoi que vous entendiez.
– Je le promets, dit Beaurevers après une
hésitation.
Dans le couloir, la porte fermée, Nostradamus
poussa un rauque soupir tout chargé de haine.
– Le fils d’Henri ! rugit-il en
lui-même. Le maudit, oui ! mais c’est le fils de Marie !…
Pitié, que veux-tu de moi ! Non, mon cœur ne s’est pas ému
pour ce jeune homme ! Le fils de Marie sera broyé dans l’étau
de ma vengeance.
– Ils approchent, murmura à son oreille
la voix de Djinno. Ils sont cent archers, conduits par le
grand-prévôt.
– Et pourtant, songeait Nostradamus sans
entendre, quelle magnifique nature ! Comme je l’aurais adoré,
s’il eût été mon fils à moi ! C’est le fils du
maudit !…
– Le roi est avec eux !
– Il n’est pas encore au point où je le
voulais, se disait Nostradamus. Il a confiance dans la parole du
roi de France. Et pourtant il faut que ce roi, son père !… il
le tue ! Il faut que je puisse dire à Henri : Tu meurs
tué par ton fils ! Il faut que cette agonie paie mes vingt ans
d’agonie à moi !…
– Messire, ils sont là !…
– Qu’on baisse le pont-levis !
Nostradamus ouvrit une fenêtre et se pencha au
moment où commença à grincer le pont-levis qui se baissait. Ses
deux mains se crispaient. Ses yeux s’étaient fermés.
Ce visage empreint d’une volonté forcenée
exprima l’effort d’un esprit domptant la matière et l’asservissant
à ses désirs.
Devant le pont-levis baissé, la bande recula.
Le roi comme les autres. Henri gronda un juron.
Puis, le premier, il mit le pied sur le
pont.
–
Caïn !
tonna une
voix.
La voix, que si souvent déjà il avait
entendue ! La même voix qui, près de vingt-trois ans
auparavant, avait hurlé en lui. Henri rugit et fit deux pas
rapides.
– CAÏN ! sonna la voix à toute
volée.
Henri jeta un gémissement qui fit reculer en
désordre la troupe d’archers. Pas à pas, il recula… Dès qu’il ne
fut plus sur le pont, tout se tut en lui.
Puis, dans un souffle rude :
– Messieurs, qu’attendez-vous pour
avancer ?
Roncherolles et Saint-André marchèrent. Les
archers tremblaient. Tous ces hommes qui avaient entendu cette
plainte du roi, qui l’avaient vu revenir en arrière, bégayaient ce
qu’ils pouvaient savoir de prières. Le grand-prévôt et le maréchal
se donnèrent la main comme ils avaient fait rue de la
Tisseranderie. Ils mirent le pied sur le pont.
Ils s’arrêtèrent. Tout à coup, quelqu’un leur
demandait :
–
Qu’avez-vous fait de
Marie ?
Hagards, ils jetèrent autour d’eux un regard
de folie. Il n’y avait personne. La voix était toute proche. Une
deuxième fois, ils l’entendirent. Elle dit :
–
Qu’avez-vous fait de
Renaud ?
Saint-André, d’un bond, se mit hors du pont.
On entendit ses dents claquer. Roncherolles rugit :
–
Renaud !
RENAUD !
RENAUD !
Il y eut quelques minutes d’effarement. Une
vingtaine d’archers, se mirent à courir, fous de terreur. Le
chevalier du guet se tourna vers ses hommes et leur dit :
– Je casse la tête au premier qui sort
des rangs.
À ce moment, une lumière apparut sous le
porche de l’hôtel. Le petit vieux s’avança, tenant un flambeau,
disant :
– Messire de Notredame attend ses
illustres visiteurs.
– Dussé-je entrer seul, dit le chevalier
du guet, je le verrai !
– Entrez, entrez, mes dignes
seigneurs !
Le chevalier s’élança. Montgomery, Roland,
Lagarde, suivirent.
– Tous ! répétait Djinno. Mon maître
vous attend tous !
Le roi, Roncherolles et Saint-André
s’avancèrent… Rien ! Cette fois ils n’entendirent rien !
Ils passèrent…
Les archers passèrent. Il en entra autant
qu’il put en entrer. Tout ce monde monta le grand, escalier au haut
duquel une immense porte ouverte dégorgeait des flots de lumière.
Ils entrèrent dans la vaste salle aux douze portes, aux douze
colonnes, au douze sphinx. Alors, Roncherolles, d’une voix
rude :
– Au nom du roi !…
L’éblouissante lumière disparut. Les ténèbres
régnèrent…
– Des torches ! Qu’on allume des
torches !
Aucune torche ne s’alluma. Ils en avaient
pourtant. Il y eut un grand silence. Tout à coup, un cri de terreur
vint
Weitere Kostenlose Bücher