Nostradamus
convulsivement son
poignard, et tâchait de peser la pensée du roi… pour qui le
poignard ?
Roncherolles et Saint-André avaient le haut
commandement de l’affaire : le roi était là en spectateur. Le
maréchal et le grand-prévôt marchaient avec l’indifférence du
joueur qui abat sa dernière carte. Tout ce monde s’arrêta devant le
pont-levis. Et Roncherolles, sans attendre :
– Chevalier du guet, au nom du roi,
sonnez du cor…
Au moment où dans la cour du Louvre, cette
troupe allait se mettre en marche, un homme avait franchi la porte
du château – un homme du service du roi. Cet homme devançant d’une
minute la colonne d’expédition, était sorti du Louvre. Au coin de
la rue Froidmantel, il avait jeté un coup de sifflet. Au loin, un
autre coup de sifflet pareil lui avait répondu. Et alors l’homme
était rentré dans le Louvre.
Le chevalier du guet, ayant reçu l’ordre de
donner du cor, prit ses dispositions. Vingt hommes porteurs de
fascines, sur un signe s’approchèrent, prêts à combler le fossé.
Deux autres groupes de dix hommes saisirent chacun un fort madrier
capuchonné de fer, destiné à servir de catapulte. D’autres
portaient des pinces, des leviers. Quarante hommes sur trois rangs
apprêtèrent leurs arquebuses.
Tout ce monde savait que les assiégés
n’obéiraient pas à la sommation du cor. Il fallait frapper un grand
coup.
En deux minutes, toute la manœuvre
s’accomplit.
Le chevalier du guet vit que tout était prêt.
Il porta le cor à sa bouche… À cet instant, le pont-levis commença
à s’abaisser…
Le chevalier n’eut pas le temps de
sonner : le pont s’abattit. Le roi, Montgomery, Roland,
Lagarde, Saint-André, Roncherolles, tous ces sacripants de haut
parage refluèrent, le cœur glacé, devant la porte qui, au delà du
pont baissé, s’ouvrait toute grande. De cette porte venait un
souffle d’épouvante.
*
*
*
Maintenant, il est nécessaire que nous
entrions dans la forteresse du sorcier. Dans l’heure qui précéda
l’arrivée des assaillants devant le pont-levis, Nostradamus et
Beaurevers se trouvaient dans la chambre même où le jeune homme
avait reçu l’hospitalité, où Nostradamus avait soigné et guéri sa
blessure.
Entre ces deux hommes, c’était un étrange
entretien sans suite, coupé de longs silences. Nostradamus était
assis et souriait. Beaurevers allait et venait.
– Bref, reprit tout à coup le jeune homme
avec rage, vous avez fermé cette blessure, peut-être vous dois-je
la vie…
– Votre blessure n’était pas mortelle,
vous ne me devez rien.
– Une entaille qui eût dû me clouer au
lit pour un bon mois !
– Oh ! j’eusse pu vous guérir en
quelques heures ; mais je tenais à vous garder cette semaine
pour empêcher des folies.
– Je vois, gronda tout à coup Le Royal,
que vous avez gardé la dague…
– La dague avec laquelle vous devez me
tuer quand vous n’aurez plus besoin de moi. Vous l’avez juré au
vieux Brabant. Vous ne pouvez vous en dédire.
– Sur mon âme, je ne m’en dédis
pas !
Une joie sinistre flamba dans l’œil noir du
mage.
– Je vous tuerai, haleta Beaurevers,
parce que vous m’avez fait reculer. Voyons, l’heure est-elle venue
où vous devez me dire ce que vous savez ?
– Elle approche… dit Nostradamus. Dans
quelques jours, vous saurez qui était votre mère, qui était votre
père.
Le Royal frissonna. Tout à coup, Nostradamus
reprit :
– Pensez-vous encore à
elle ?
– Elle ? balbutia le jeune
homme.
– Florise de Roncherolles, pour dire son
nom !
Beaurevers avait baissé la tête. Il
murmura :
– Elle m’a juré que si je mourais, elle
mourrait, fût-ce au pied de l’échafaud… Un jour, elle m’a dit que
mon métier est horrible. Et, depuis, ce métier m’est horrible à
moi-même. Dites-moi, est-ce que vraiment je n’ai fait que du mal
dans ma vie ? Et si je l’aime, moi, comment oserai-je jamais
le dire à cet ange ?
Un sanglot râla dans sa gorge, et
brusquement :
– Rendez-moi cette dague !
– Pas encore ! Et le roi, que
pensez-vous du roi ?
Le Royal fit un effort pour s’arracher à ses
pensées.
– Le roi de France, murmura-t-il, m’a
juré à moi de ne jamais rien tenter contre Florise. Je n’ai rien à
dire de lui…
– Alors, dit-il, vous pensez que le roi
tiendra sa parole ?
– Le roi est le roi ! dit
Beaurevers.
À ce moment, le vieillard au sourire
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