Nostradamus
et j’ai conscience que vous feriez autant qu’une
mère…
– Oui, oui ! haleta Marie de
Croixmart.
– Ce que vous feriez pour moi, je vous
supplie de le faire pour cette noble demoiselle. Je vous demande
pour elle votre affection et votre dévouement. Et alors, madame,
vous pourrez me demander à moi jusqu’à la dernière goutte de mon
sang, puisque je n’ai à donner que mon sang.
Marie de Croixmart tendit ses deux mains à
Florise, avec une telle sympathie, dans un tel mouvement de sincère
affection que la jeune fille sentit ses craintes se dissiper.
– Comment vous nommez-vous, mon
enfant ?
– Florise, madame, dit la jeune fille.
Soyez remerciée de l’hospitalité que vous m’accordez. Où irais-je,
sans vous ?… Je n’ai plus de mère…
– Je serai la vôtre ! dit vivement
Marie de Croixmart.
– Et quant à mon père, ajouta Florise,
frappé en pleine prospérité par la fatalité, jeté en prison… lui
qui, hier encore, était un des plus puissants seigneurs de la
cour…
– Pauvre petite ! De quoi est-il
accusé ?… Qui est-ce ?…
– C’est le grand-prévôt, le baron de
Roncherolles…
Marie de Croixmart eut au fond de l’âme un cri
terrible :
– Il aime la fille du maudit !…
Elle eût été la mère,
qu’elle n’eût
pas davantage souffert. Le Royal aimait la fille de
Roncherolles ! Fille digne de ce père, sans aucun
doute !… Comment
le sauver ?
Comment lui dire
que cet amour cachait un abîme de désespoir.
– Madame, fit Florise, vous
souffrez ! Qu’avez-vous ?
– Rien ! bégaya Marie de Croixmart
d’une voix dure. Et elle songeait :
– Prévenir ce malheureux ! lui dire
l’infamie du père… lui expliquer que la fille d’un Roncherolles ne
peut traîner après soi que malheur et…
Elle s’arrêta soudain. Sa pensée eut une volte
soudaine.
– Madame, qu’avez-vous ? répétait
Florise. Si c’est une souffrance du corps, je vous soignerai. Si
c’est une souffrance du cœur, je vous consolerai…
– Et moi ! rugit en elle-même Marie
de Croixmart. N’ai-je pas été la fille d’un maudit ! Si Renaud
m’avait condamnée, repoussée, humiliée, parce que j’avais pour père
le grand juge Croixmart !… Quel père, grand Dieu ! Celui
qui a fait mourir par le feu la mère de son amant !
Mais encore le nom de Roncherolles sonnait en
elle le tocsin de la haine. Peut-être allait-elle crier à
Beaurevers : « Malheureux, écartez-vous de cette fille,
car elle est maudite !… » Elle le chercha de ses yeux
hagards. Et Florise aussi se retourna : ni l’une ni l’autre ne
le vit.
Le Royal de Beaurevers avait disparu. Il avait
doucement descendu l’escalier et s’était élancé au
dehors :
– Même si le grand-prévôt doit me faire
pendre, il faut que je sauve le père de Florise !…
II – LA VENGEANCE DE NOSTRADAMUS
Cette journée du mercredi, Nostradamus l’avait
passée dans une sombre rêverie. Il lui semblait qu’il venait d’être
abandonné par les
esprits
qui, jusqu’à ce jour, l’avaient
conduit par la main au but de sa vie : la vengeance.
Sa destinée, à ce moment même, se jouait à
Pierrefonds. Son génie lucide et mathématique avait établi cette
vengeance comme un problème. Voici quelle était l’ordonnance du
problème :
Frapper Loyola dans sa foi, Saint-André dans
son or.
Tuer Roncherolles en l’atteignant dans son
orgueil paternel.
Susciter contre Henri II son fils, Le
Royal de Beaurevers.
Nostradamus considérait Loyola et Saint-André
comme des comparses, des coupables au second degré. Il réservait à
Henri II un châtiment violent et matériel et à Roncherolles,
une punition de sentiment.
Restait une
inconnue :
L’attitude qu’aurait Le Royal devant
Henri II.
On a vu que déjà Nostradamus avait tenté de
les mettre en présence : la générosité du truand faisant grâce
au roi avait fait dévier le coup porté. C’est alors qu’il avait
préparé le traquenard de Pierrefonds : Roncherolles réduit à
l’impuissance, Florise dans le vieux château féodal, le roi lancé
sur Florise, et Beaurevers au dernier moment lâché sur le
roi !
Or, Le Royal de Beaurevers, en cette journée
du mercredi, était à Pierrefonds. Mais le roi n’y était
pas !
– Il semble qu’un génie protège ce jeune
homme, songeait Nostradamus. Le Royal, fils d’Henri, est
l’instrument de ma vengeance. Pourquoi, puisqu’il m’a été donné
pour
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