Nostradamus
donne une compagnie si tu veux me
servir.
– Pour quelle affaire dois-je vous
servir ? demanda Le Royal de Beaurevers. Et combien allez-vous
me payer ?
– Mais j’achète ton épée pour toujours,
comprends-tu ?
– Impossible ; elle est déjà
vendue.
– À qui ?
– À moi.
Ce fut après cette prise de Calais, que le duc
licencia tous les volontaires qui ne voulurent pas s’embrigader
régulièrement. Le Royal de Beaurevers fut de ces derniers et partit
à l’aventure avec Brabant et quelques compagnons, dont il fut le
chef, Cette petite troupe elle-même se dispersa au bout de quelques
mois. Il y a là une période pendant laquelle Le Royal de Beaurevers
exerça probablement sur les routes du roi la profession de
détrousseur.
Le Royal de Beaurevers ne savait pas lire. Il
ne savait pas écrire. Il ne savait pas penser. Il ne savait pas la
morale, il ne savait pas ce qui est permis. Il ne savait pas ce qui
est défendu. Il ne savait pas ce qui est mal ; on ne le lui
avait pas appris.
II – DEUX CAVALIERS ONT ATTAQUÉ UN
VOYAGEUR INCONNU.
Au sortir de l’hiver de l’an 1558, sur la
route de Fontainebleau à Paris, en avant de Melun, deux cavaliers
s’avançaient péniblement. La nuit était noire ; la pluie
faisait rage. Les chevaux étaient maigres et maigres étaient les
cavaliers.
Ils avaient faim. Ils avaient soif. Leurs
justaucorps étaient déchirés, leurs bottes délabrées, leurs
manteaux, troués et déteints.
L’un de ces voyageurs pouvait avoir la
soixantaine ; l’autre, vingt à vingt-deux ans. Le vieux se
tenait à grand’peine sur sa selle, où le jeune était obligé de le
soutenir. D’une main, cet homme comprimait sa poitrine où béait une
déchirure par laquelle la vie s’en allait avec le sang.
Il râlait par moments. Puis il se remettait à
jurer. La mort, déjà, allongeait son ombre sur son visage
osseux.
Le plus jeune avait une physionomie rude et
belle, des yeux de braise qui jetaient dans les ténèbres des lueurs
de phosphore. Il avait ramassé dans sa main gauche les brides des
deux chevaux, et, marchant botte à botte avec le blessé, conduisait
les deux montures, semblant y voir comme en plein jour. Pourtant,
le ciel et la terre se confondaient dans le chaos noir où il n’y
avait plus ni lignes ni couleurs.
D’où venaient ces deux hommes ? De
quelles longues étapes cette étape était-elle la suite ou la
fin ? Pourquoi ces deux cavaliers s’étaient-ils trouvé à Melun
ce soir-là ? Pourquoi avaient-ils attaqué un voyageur
inconnu ? Pourquoi le vieux avait-il été mortellement blessé
par ce voyageur inconnu.
Ils allaient donc lentement et se trouvaient à
une petite lieue de Melun, d’où ils étaient sortis depuis une
demi-heure. Quelquefois, le jeune cavalier tendait l’oreille ;
mais il n’entendait que la plainte des arbres et le crépitement de
la pluie. Alors, il disait :
– On ne nous poursuit pas. Et d’ailleurs
l’homme a quitté Melun avant nous. Avançons toujours…
– Avançons, grognait le blessé. Voici ma
dernière étape…
– Courage, tudieu ! Courage,
tudiable !
– Courage ? J’en ai encore, mon
jeune lion, j’en ai pour une heure. Dans une heure, je n’aurai plus
besoin de courage. Oh ! je ne voudrais pas mourir pourtant
sans t’avoir dit…
– Nous trouverons bien quelque bicoque de
paysan, et, il faudra qu’on te donne à boire, ou je brise
tout ! J’étripe tout !
Le mourant eut un sourire d’admiration, puis
râla :
– Autant crever ici. Pourtant j’ai des
choses à te dire…
Son compagnon se dressa tout droit sur ses
étriers.
– Une lumière ! cria-t-il d’une voix
éclatante.
– Une lumière ! Où cela ?
balbutia le blessé.
– Devant nous ! À un quart de lieue
à peine ! Avançons !
Les deux cavaliers enfoncèrent leurs éperons
dans les flancs de leurs chevaux. Les bêtes se mirent en marche,
péniblement, buttant tous les dix pas. L’averse augmentait
d’intensité. La rafale hurlait. Ils s’avançaient vers la lumière
qui tremblotait là-bas au fond des ténèbres.
– C’est fini, râla le blessé, en
vacillant. Je n’arriverai pas. Quel coup dans la poitrine ! À
qui diable avons-nous eu affaire ?… Et c’est moi qui ai eu
cette idée d’attaquer ce voyageur à Melun ! Inspiration de
Satan !… Nous pouvions attaquer cent autres bourgeois que nous
eussions dévalisés en douceur. Non ! C’est sur ce voyageur
inconnu que
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