Nostradamus
coûte pour laisser aboyer
dehors Le Royal de Beaurevers !
– Capitaine, dit Trinquemaille, nous ne
savions pas…
– Il faut savoir quand il s’agit de
moi ! hurla le jeune homme en enfonçant sa dague dans la
table.
Trinquemaille se courba devant Le Royal.
Corpodibale, Bouracan, Strapafar le contemplaient avec
admiration.
– Aubergiste ! Une chambre. Le
meilleur lit. Et du vin. Le meilleur de ta cave. En route, vous
autres. Soutenez-le par les jambes et les bras. Mon pauvre Brabant
va trépasser !
Le vieux Brabant, introduit dans la salle par
Bouracan et Strapafar, venait de perdre connaissance. L’hôte, en
tremblant, montra le chemin. Le mourant fut déposé sur un lit dans
une pièce du premier étage. Puis l’aubergiste courut chercher du
vin.
– Attendez-moi en bas. J’ai à vous
parler, mes agneaux, grogna Le Royal. – Hé ! Brabant, tu
n’entends pas ? As-tu soif ? Avale une gorgée de ce
nectar !
Le blessé avait la bouche entr’ouverte. Le
Royal contempla cette tête livide. C’était un bandit, ce mourant.
Il avait volé, pillé, tué…
– Je lui dois la vie ! pensa Le
Royal. Il a été mon père.
Il tressaillit. Un sourire amer découvrit ses
dents aiguës.
– Un père ! dit-il. Est-ce que j’ai
un père, moi !
À ce moment, à la porte restée entrebâillée,
une tête exsangue se montra… C’était le voyageur inconnu…
Pourquoi venait-il voir et écouter ?…
– Si j’ai un père, continua Le Royal,
qu’il soit maudit ! C’est toi, vieux, qui es mon vrai père.
As-tu soif ?
Il saisit la bouteille que l’aubergiste avait
montée et en plaça le goulot dans la bouche du blessé. Le vin coula
et se répandit jusque dans le cou. Brabant parut reprendre ses
sens.
– Il revient ! murmura le jeune
homme.
Brabant eut un sourire héroïque et
bégaya :
– Oui, je reviens, mais pour m’en
retourner bientôt…
– Non ! Je ne veux pas, moi. Tu ne
mourras pas…
– Moi aujourd’hui, toi un autre jour, il
faut y passer. Ma carcasse aux vers, mon âme au diable, n, i, ni,
c’est fini.
Le visage de Beaurevers se convulsa. À ce
moment même, le regard du moribond se fixa sur la porte, et
s’emplit d’épouvante.
– La Mort ! balbutia-t-il.
La
voici !
Là ! Regarde !
Le Royal se retourna et bondit, mais il ne vit
qu’un palier obscur, avec en face, une autre porte close.
– Il n’y a rien, dit-il en revenant. Tu
as rêvé.
– Rêvé ? Oui-da. Le rêve commence…
Il y avait quelqu’un avec un visage où il ne doit pas y avoir une
goutte de sang !
La voix devenait plus rauque. Il éclata de
rire.
– Tudiable, qu’est-ce que je vois à tes
yeux. Une larme ? Non, tu n’es plus mon lion, mon Royal de
Beaurevers. Pleurer ? Pleurer quoi ? Allons, mon enfant,
sois ferme ; n’aie Confiance qu’en ton bras et ton épée ;
frappe, mords, pille, sans quoi tu seras frappé, mordu,
pillé ; du cœur ? sornette ! Adieu, je m’en vais.
Écoute encore, avant l’adieu de la fin. Qui tu es ? Tu me l’as
souvent demandé. Je vais te le dire… Oh ! encore !
la
mort ! là ! qui me regarde !
à cette
porte !…
Le Royal de Beaurevers, vivement, se tourna
vers le point indiqué. Mais cette fois encore il ne vit rien.
– Attends, gronda-t-il. Tu ne verras plus
la tête où il n’y a pas une goutte de sang.
D’un coup de poing, il envoya rouler le
flambeau, qui s’éteignit. Les ténèbres envahirent la chambre.
– Bon ! jura Brabant. Écoute donc,
mon petit.
L’agonisant, là, sur ce grabat, ce jeune homme
penché sur lui, l’obscurité les coups de vent, oui, cela faisait
une scène effrayante ! Et là, derrière la porte, il y avait
quelqu’un ! Le mourant avait bien vu ! Et ce quelqu’un,
c’était le voyageur inconnu.
Brabant râlait. Sa mémoire s’enfonçant à
l’éternel chaos. Ce qu’il savait se mêlait aux imaginations de
l’agonie.
– Sais-tu à qui je devais te remettre
quand je te pris tout petit, pauvre lionceau encore sans
griffes ?…
– Tu devais me remettre à
quelqu’un ?…
– Oui, ricana Brabant. Au
bourreau !
– Et pourquoi m’aurais-tu remis au
bourreau ? Ai-je donc été criminel dès l’instant où j’ai mis
le pied dans le monde ?
– Pourquoi ? Tu es fils d’une
démoniaque qui fut mise au Temple parce qu’elle avait fait des
maléfices d’amour contre le dauphin François et M. Henri, duc
d’Orléans. Seul, le maléfice contre le
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