Nostradamus
Nostradamus avec une
poignante mélancolie. Car la science, madame, ne m’a pas appris à
triompher des douleurs du cœur. Mais la fabrication de l’or est une
simple question de calcul, et ceux que vous appelez les morts
peuvent accourir vers qui sait leur parler.
Catherine jeta autour d’elle un regard de
terreur.
– Madame, reprit Nostradamus en
s’apercevant que l’esprit de la reine était tendu à se briser, ne
craignez rien. Je puis beaucoup pour les autres et bien peu pour
moi-même… Vous m’avez promis de m’exposer votre situation
présente…
– Oui, bégaya Catherine, parlons plutôt
de moi, messire.
V – LE SERMENT DE NOSTRADAMUS
– Voyons, fit Nostradamus avec bonhomie,
vous avez lieu de vous plaindre de votre époux Henri, roi de
France.
La reine ne remarqua pas l’accent de haine
implacable avec lequel il avait prononcé le nom du roi.
– Henri, dit-elle, a aimé bien des
femmes. Mais pour celle qu’il aime aujourd’hui, sa passion ira
jusqu’à…
La reine se tut. Nostradamus murmura dans un
souffle :
– Jusqu’à vous répudier, n’est-ce pas,
madame ?…
La reine eut un regard qui eût terrorisé tout
autre.
– Vous avez promis d’être franche,
madame.
– C’est vrai ! fit sourdement la
reine. Voilà le chancre rongeur de ma vie. Le roi est fou d’amour.
Il offrira le trône à cette femme, et on me brisera !
Patience ! Mon heure viendra. Et alors, oh ! alors,
malheur à ceux et à celles qui m’auront fait souffrir !
Catherine s’arrêta brusquement, passa une main
sur son front, et murmura :
– Cette femme peut me faire un mal
irréparable. Une perverse créature qui sait se refuser pour tout
obtenir…
– Puis-je savoir son nom ? demanda
Nostradamus.
– Elle s’appelle Florise de
Roncherolles…
Nostradamus ne fit pas un mouvement. Mais la
reine Catherine eût grelotté d’épouvante, si elle avait entendu la
clameur de joie qui se déchaîna dans le cœur de Nostradamus.
– La fille de Roncherolles ! Florise
est aimée d’Henri ! songeait-il. Oh ! J’entrevois pour
cet homme des souffrances pareilles à celles que j’ai souffertes,
puisque Florise est ou sera aimée de Royal-Beaurevers et que le
Royal-Beaurevers, c’est le fils d’Henri ! Roi de France, voici
le châtiment ! Aime cette Florise ! Puisse-tu l’aimer
mille fois plus que jadis je n’aimai Marie !…
Puis, tout s’apaisa en lui. Et en Nostradamus
il n’y eut plus que le froid calculateur mûrissant le problème de
la vengeance. La reine disait :
– Je n’ai qu’un moyen de me défendre.
C’est de tenter sur Henri quelque artifice d’amour… J’ai entendu
parler de philtres… moi-même, j’en ai usé… Mage…
j’attends !
Nostradamus ne répondit pas. Il se parlait à
lui-même.
– Quel sanglant avenir je vois à cette
famille maudite ! Car voici le châtiment d’Henri, frappé en
lui, en sa postérité ! Car ce sera la famille de malédiction
où l’épouse assassine l’époux, où la mère tue les enfants, où les
frères s’entre-dévorent.
– Mage, reprit la reine avec irritation,
tu ne réponds pas !
Nostradamus se leva et prononça :
– Cet homme qui t’a humiliée, ce roi, tu
le hais. Et tu une demandes un philtre d’amour ! Il faut un
plus redoutable châtiment ! Tente, si tu veux, de le ramener à
toi par l’amour. Essaie encore sur lui les charmes de ton corps.
Car tu es belle, Catherine. Oui, tente, si tu veux, un suprême
assaut. Moi, je ne veux pas m’en mêler.
Catherine grinça des dents.
– Tais-toi ! continua Nostradamus,
Henri aimera Florise jusqu’à la limite extrême. Tu te verras à la
minute de la répudiation… Et c’est alors seulement, que j’arriverai
et que je te sauverai. Catherine, tu ne seras pas répudiée,
Catherine, tu régneras… Tu occuperas le trône de France avec le
fils de ton cœur. J’en fais le serment !
La reine, une minute, demeura éblouie devant
cet avenir de puissance et de vengeance que venait d’évoquer le
mage. Nostradamus s’enfonçait dans une méditation.
– Oh ! Et si elle allait tenter de
ramener à elle cet homme ! Si elle allait réussir !… Elle
est belle encore. Si cet homme allait se mettre à aimer
Catherine ! Je verrais ma vengeance se dissiper… Allons !
Mettons entre Catherine et Henri quelque barrière
infranchissable ! Tentons une fois encore dans la vie la
terrible opération que j’ai réussie
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