Nostradamus
onctueusement
Trinquemaille. Que vous disais-je ?
Cette cave se distinguait par quatre forts
barils rangés à droite, côte à côte. À gauche, tout seul, il y
avait un tonneau plus fort. Bouracan fit sonner les
barils :
– Pleins ! fit-il.
Il voulut aussi étudier le tonneau de gauche
et remarqua que la bonde était ouverte. Il y glissa un doigt… et
recula.
– De la poudre ! fit-il.
– Et les barils ? questionna
Trinquemaille anxieux.
– Oh ! c’est autre chose : du
vin !
– Bon ! Laissons donc le tonneau et
vivent les barils !
– Ascout’ oun pau, mon pigeoun, dit
Strapafar à Bouracan. Prends-moi ces bestioles par les oreilles et
va les poser sur les poutres aux jambons. En sorte, que nous aurons
le boire et le manger l’un sur l’autre.
– C’est une idée magnifique ! dit
Bouracan.
Il dit. Et de ses bras musculeux, il fit le
transport indiqué.
– Voilà ! dit le géant en s’essuyant
le front.
– À genoux, mes frères, et prions !
fit Trinquemaille.
L’instant d’après, les quatre sacripants
étaient agenouillés chacun devant son baril, les lèvres à la canule
ouverte. Lorsqu’ils se furent désaltérés, chacun d’eux saisit son
jambon, et se mit à le déchiqueter du poignard. Le Royal était
entré et les regardait d’un œil vague.
– Vous ne mangez pas, maître ?
demanda Strapafar.
– Je n’ai pas faim.
– Vous ne buvez pas ? fit
Bouracan.
– Je n’ai pas soif.
Ils se regardèrent, stupéfaits, inquiets,
incrédules au fond. Trinquemaille cligna des yeux et
murmura :
– Vous ne voyez pas que Le Royal nous
fait une farce !
Il y eut un tonnerre de rires, et rassurés,
ils se remirent à dévorer avec frénésie. Tantôt l’un, tantôt
l’autre abandonnait son jambon et allait s’agenouiller devant son
baril.
Lorsqu’ils furent repus, rassasiés, n’en
pouvant plus, ils se vautrèrent sur le sable et, alors, se mirent à
raconter leurs exploits. Le Royal les écoutait maintenant, et
peut-être les enviait-il. À quel homme, en effet, n’est-il pas
arrivé, à de certaines heures, de souhaiter devenir animal. Et les
quatre malandrins évoquaient les ripailles, les batailles. Et Le
Royal de Beaurevers les écoutait…
– Par les saints, dit Trinquemaille,
quand ce fut son tour de raconter, ce qui rend ma vie joyeuse à
moi, c’est cette matinée où tous quatre nous devions être
pendus.
Il y eut un quatuor de rires, puis une visite
aux barils.
– Vous souvenez-vous, reprit
Trinquemaille, de cette matinée où fut brûlée en Grève la bonne
dame qui nous avait secourus ?
– Aïe ! fit Strapafar, j’en ai
encore une larme au coin de l’œil. Et pourtant vingt-deux ans ont
refroidi ses cendres.
– Qu’avait fait cette femme ? dit Le
Royal.
– Est-ce qu’on sait ? dit
Trinquemaille. Elle fut dénoncée par la fille du sire de Croixmart
et brûlée comme sorcière.
– Croixmart ? interrogea Le
Royal.
– Vous ne l’avez pas connu, monseigneur
de Beaurevers. Ah ! vous étiez encore dans le ventre de votre
mère, Croixmart, voyez-vous !… Roncherolles, c’est quelque
chose ; mais Croixmart !…
– C’était donc le grand prévôt
d’alors ?
– C’était le grand juge. Le roi François
en avait fait le grand bourreau de Paris. Quand il nous
apparaissait, escorté toujours de l’exécuteur juré et de deux aides
portant des cordes neuves, couvert d’acier, avec son œil qui vous
glaçait la moelle, nous sentions la mort nous saisir aux cheveux.
C’était un rude tueur. Or, il avait une fille. Si jamais elle nous
était tombée dans les pattes, quelle marmelade ! Mais la
gueuse eut soin de disparaître.
– Et que vous avait-elle fait ?
demanda Le Royal.
– Il demande ce que Marie de Croixmart
nous avait fait ! Ah ! çà, monseigneur, vous êtes
sourd !… On se tue à vous dire qu’elle avait dénoncé à son
père et fait brûler comme sorcière la pauvre bougresse qui nous
avait deux ou trois fois évité le gibet par ses bons avis. Ce
n’était pas une sorcière, puisque les sorcières sont inspirées par
Satan. C’était une voyante inspirée par les saints du ciel et bonne
au pauvre monde.
– Et tu dis, demanda Le Royal, que cette
bonne vieille fut dénoncée par la fille du grand juge ?
C’était donc un monstre que cette fille de Croixmart ! Elle
devait être laide…
– Belle à damner toute la chrétienté.
Mais sans doute elle avait l’âme
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