Nostradamus
d’un démon… Ah ! Royal,
méfiez-vous des femelles.
Le Royal de Beaurevers, d’un rude signe de
tête, approuva.
– Quant à la fille de Croixmart, nous
nous sommes juré de l’étrangler si un jour nous mettons la main
dessus. Si le cœur vous en dit, vous nous aiderez, dites ?
– Oui ! dit gravement Le Royal.
Cette Marie de Croixmart… je la hais sans la connaître. Je hais
toutes les femmes. Malheur à celle qui tenterait de m’humilier. Qui
a dit que ma besogne est horrible !… Je hais ces grandes dames
qui laissent tomber en passant un regard de pitié. Je hais cette
foule de lâches, qui rient autour du gibet, quand l’un des nôtres
paie le malheur d’être né pauvre ! Tudieu ! il vous est
facile de venir me dire, d’un air d’hypocrite compassion :
« La besogne de mon père est terrible, la vôtre est
horrible !… » Où est la mère qui m’a appris à vivre, à
moi ! Est-ce que j’ai un père ! Est-ce que j’ai une
mère ! Mon pays, c’est la Cour des Miracles. Ma famille, c’est
la Petite-Flambe. Qui suis-je ? Celui qu’on redoute, puisqu’il
ne peut être celui qu’on aime ! Et malheur à toi, Marie de
Croixmart, si tu te heurtes à moi ! Malheur aux filles de
juges et de grands prévôts, aux belles filles, trop douces à voir
et qui vous écrasent de leur pitié en attendant qu’elles vous
jettent au bourreau. À boire, par le tonnerre du diable !
D’un bond, Bouracan fut aux barils. Il en
saisit un, le leva à bras tendus et offrit la canule à Beaurevers,
qui se mit à boire !… Et ce fut un spectacle qui fanatisa les
trois autres. Le Royal, tout à coup, se redressa, empoigna à son
tour le baril, le souleva, puis, à toute volée, l’envoya contre le
mur, où il se fracassa…
Les quatre sacripants étaient demeurés effarés
devant ce geste de folie. Le Royal leur tourna le dos, s’enfonça
dans la galerie, marcha jusqu’à la porte par où avait disparu
Florise, s’y accota, et s’immobilisa. Trinquemaille, qui s’avança
de quelques pas, entendit un bruit d’une infinie tristesse :
Le Royal de Beaurevers sanglotait…
– Mes bons, dit Trinquemaille en
rejoignant les trois autres, prions pour Royal, qui est possédé du
démon.
– Oui, dit Bouracan, prions !
Et il se mit à boire. Strapafar, Corpodibale,
Trinquemaille se mirent également à prier selon la méthode
Bouracan. Une heure plus tard, vint le moment où il n’y eut plus
dans la cave, parmi les restes de jambons, sur le sable où coulait
le vin des barils laissés ouverts, que quatre corps écrasés sous un
sommeil de plomb.
III – BOURACAN
Le Royal de Beaurevers, accoté à la porte,
dans les ténèbres, demeura immobile. Ses pensées évoluaient autour
de ces mots :
– La besogne de mon père est terrible, la
vôtre est horrible.
Il revoyait sa vie, son enfance débridée parmi
les monstruosités de la Cour des Miracles, sa jeunesse, les longues
chevauchées près du vieux Brabant, les rudes étapes, les affûts,
les batailles, les coups donnés et reçus, puis la scène de Melun…
un homme, un inconnu, l’avait fait reculer !… Puis la mort de
Brabant dans l’auberge solitaire… Puis l’homme reparaissait devant
lui et lui disait : « Par moi tu sauras qui fut ton père,
qui fut ta mère… » Puis, dans la salle de l’auberge, le
guet-apens organisé… et enfin l’apparition de Florise ! Et
alors, dans cette âme
ignorante,
dans cet esprit à qui nul
n’avait appris qu’il y a de beaux gestes et des actes hideux,
éclosait la honte. Pour la première fois, Le Royal avait eu honte
de ce qu’il allait faire. Ou plutôt un je ne sais quoi d’impulsif
l’avait poussé à jeter aux pieds de Saint-André la bourse pleine
d’or… et il avait sauvé Florise.
Les paupières fermées, il revoyait Florise… Et
alors il lui semblait que, derrière cette vision de lumière, une
ombre se projetait… Cette ombre c’était l’homme qui, à Melun,
l’avait fait reculer, l’homme qui lui avait donné rendez-vous,
l’homme qui connaissait son père et sa mère…
Nostradamus !
Après de longues heures, tous les bruits, en
haut, s’étaient éteints. Le Royal de Beaurevers attendait la venue
de Florise, et grondait :
– Que je sorte seulement de cette
souricière, et le sire de Roncherolles verra qui de nous deux doit
le premier porter une cravate de chanvre.
Comme il parlait ainsi, la porte s’ouvrit, et
Florise apparut. Il frissonna.
Weitere Kostenlose Bücher