Notre France, sa géographie, son histoire
antiquité que j'aie rencontré en
Bretagne. Le pauvre vieillard, seul, couché sur une chaise séculaire, sans soin
filial, sans famille, se mourait de la fièvre entre une grammaire irlandaise et
une grammaire hébraïque. Il se ranima pour me déclamer quelques vers bretons
sur un rhythme emphatique et monotone qui, pourtant, n'était pas sans charme.
Je ne pus voir, sans compassion profonde, ce représentant de la nationalité
celtique, ce défenseur expirant d'une langue et d'une poésie expirantes.
Nos Bretons sont, dans leur langage, pleins de paroles tristes, ils
sympathisent avec la nuit, avec la mort : « Je ne dors jamais, dit
leur proverbe, que je ne meure de mort amère. » Et à celui qui passe sur
une tombe : « Retirez-vous de mon trépassé. »
De toutes les populations celtiques, la Bretagne est pourtant la moins
à plaindre, elle a été associée depuis longtemps à l'égalité ; la France
est un pays humain et généreux. Sa tristesse lui vient de s'être attachée aux
causes perdues.
Nantes, capitale de la Bretagne, est peu bretonne. Elle semble avoir
hérité d'Angers et de Rennes avec lesquels elle fait un triangle. La marée
s'arrêtant à quatre lieues de distance à l'Ouest, son commerce maritime est
sans apparence, les gros navires n'y venant pas. Nantes est un demi-Bordeaux
moins brillant, plus sage, mêlé d'opulence coloniale et de sobriété bretonne.
La parcimonie même, qui est le caractère des hommes de l'Ouest, leur permet
dans les grandes circonstances une magnificence héroïque, une noble
prodigalité. Bordeaux, avec ses riches vignobles, peut trafiquer de la nature.
Nantes, moins favorisée, a trafiqué des hommes. C'était le pendant de
Saint-Malo, mais moins héroïque. Elle n'est pas en face de l'Angleterre. Pour
son berceau elle a choisi le point où aboutissent et finissent la navigation
intérieure et la navigation maritime, entre les bras de l'Erdre, qui s'élargit
là comme une mer, prend trois lieues d'étendue.
La Loire, abritée des courants par toute l'épaisseur de la Bretagne,
chemine au delà de Nantes toute reposée sur un lit de sable. Après avoir
fécondé trois cents lieues de rivages, elle porte placidement à la mer salée
une mer d'eau douce. Nantes n'est pas sans souffrir de ce voisinage. Des
quartiers entiers, — l'ile Feydeau, par exemple, chargée de palais, — sont
inhabités. En même temps, les hauteurs occupées par les longs murs des
couvents, sans portes ni fenêtres rappellent ces quartiers de Rome que gagne la Malaria .
Nantes, pendant la Révolution, fut admirable pour les malheureuses
victimes de la guerre civile. Lorsque la Vendée inaugura l'insurrection par le
massacre de Machecoul, on vit tout un peuple naufragé chercher dans son sein le
port de salut. La grande cité entourée elle-même d'un cercle de feu, les reçut
tous, ruinés, dépouillés, souvent en chemise, les hommes blessés, sanglants,
les femmes éplorées ayant vu tuer leurs maris, écraser leurs enfants.
Si les Vendéens eussent pris Nantes, cette victoire leur eût donné à
la fois la mer, la Loire et plusieurs départements, un vrai royaume de l'Ouest.
Comme l'a dit Bonaparte le salut de cette ville fut celui de la France.
1 M. Michelet venait de parcourir tout ce pays
accompagné de son élève et ami, M. Chéruel.
2 Ce sont deux faits incontestables. Mais que ne
faudrait-il pas ajouter, si l'on voulait rendre justice à ces deux villes, et
leur payer tout ce que leur doit la France ?
3 Aujourd'hui que la navigation a tant augmenté, les
sinistrés doivent être plus nombreux.
4 Du reste, il semblait que le bris fût une sorte de
droit d'alluvion. Ce terrible droit était l'un des privilèges féodaux les plus
lucratifs. On sait le mot de ce comte de Léon, enrichi par son écueil :
« J'ai là une pierre plus précieuse que celles qui ornent la couronne des
rois. »
5 Les choses ont changé. Aujourd'hui la France
s'avance en mer pour recueillir les vaisseaux, éclairant d'un soin admirable
toutes les pointes de la Bretagne. A l'avant-garde de Brest, à Saint-Mathieu, à
Pennemark, à l'île de Sein, tout est couronné de feux, tous différents, par
éclairs de minutes ou de secondes qui avertissent de tous côtés le
navigateur.
6 Les genêts.
7 Voir lettres de M me de Sévigné,
1675 : « Il y eut un très grand nombre d'hommes
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