Notre France, sa géographie, son histoire
signe, si ce n'est peut-être sous les pierres renversées
de Loc Maria Ker, encore si peu distincts, qu'on est tenté de les prendre pour
des accidents naturels. Si vous interrogez les gens du pays, ils répondront
brièvement que ce sont les maisons des Korrigans, des Courils, petits hommes
lascifs qui, le soir, barrent le chemin, et vous forcent de danser avec eux
jusqu'à ce que vous en mouriez de fatigue. Ailleurs, ce sont les fées qui,
descendant des montagnes en filant, ont apporté ces rocs dans leur tablier. Ces
pierres éparses sont toutes une noce pétrifiée. Une pierre isolée, vers
Morlaix, témoigne du malheur d'un paysan qui, pour avoir blasphémé, a été avalé
par la lune.
On ne sent bien l'histoire de Bretagne que sur le théâtre même des
guerres bretonnes, aux roches d'Auray, aux plages de Quiberon, de
Saint-Michel-en-Grève, où le duc fratricide rencontra le moine noir.
Je n'oublierai jamais le jour où je partis de grand matin d'Auray, la
ville sainte des chouans, pour visiter, à quelques lieues de là, les grands
monuments druidiques de Loc Maria Ker et de Carnac. Le premier de ces villages,
assis à l'embouchure de la sale et fétide rivière d'Auray, avec ses îles du
Morbihan, plus nombreuses qu'il n'y a de jours dans l'an.
Il tombait du brouillard, comme il y en a sur ces côtes la moitié de
l'année. Nous avancions en dansant, péniblement, sur les rocs, les branches des
arbres nous frappant le visage, nous lançant l'eau, déchirant les chevaux et le
postillon. De mauvais ponts sur des marais, puis le bas et sombre manoir avec
la longue avenue de chênes qui s'est religieusement conservée en
Bretagne ; des bois fourrés et bas, où les vieux arbres même ne s'élèvent
jamais bien haut. Rien du grandiose des forêts et des châteaux normands. Les
manoirs bretons semblent plus compter pour leur défense sur la difficulté des
approches, sur les forêts broussailleuses, les marais qui les cachent que sur
une position élevée. De temps en temps un paysan au nez pointu qui passe sans
regarder ; mais il vous a bien vu avec son œil oblique d'oiseau de nuit.
Cette figure explique le fameux cri de guerre, et le nom de chouans , que
leur donnaient les bleus . Point de maisons sur les chemins ; ils
reviennent chaque soir au village. Partout de grandes landes, tristement parées
de bruyères roses et de diverses plantes jaunes 6 ; ailleurs,
ce sont des campagnes blanches de Sarrazin. Cette neige d'été, ces couleurs
sans éclat et comme flétries d'avance, affligent l'œil plus qu'elles ne le
récréent, comme cette couronne de paille et de fleurs dont se pare la folle
d' Hamlet . En avançant vers Carnac, c'est encore pis. Véritables plaines
de roc où quelques moutons noirs paissent le caillou. Au milieu de tant de
pierres, dont plusieurs sont dressées d'elles-mêmes, trapues comme les hommes
du pays, les alignements de Carnac n'inspirent aucun étonnement. Montons plutôt
sur la plate-forme du clocher de l'église. De là, le regard découvre à peu de
distance, un monument de notre histoire bien autrement saisissant :
Quiberon, de sinistre mémoire ! Entre Auray et Vannes, les yeux se
heurtent à un objet funèbre ; sur une vaste prairie, une seule tombe avec
cette brève inscription : Hic ceciderunt . Ce sont les prisonniers
vendéens pris à Quiberon que les soldats ne purent sauver, qu'il fallut
fusiller là.
Le Morbihan sombre d'aspect l'est aussi de souvenirs ; pays de
vieilles haines, de pèlerinages et de guerre civile ; terre de caillou et
race de granit. Là, tout dure ; le temps y passe plus lentement. Les
prêtres y sont très forts. C'est pourtant une grave erreur de croire que ces
populations de l'Ouest, bretonnes et vendéennes, soient profondément
religieuses : dans plusieurs cantons de l'Ouest, le saint qui n'exauce pas
les prières risque d'être vigoureusement fouetté. En Bretagne, comme en
Irlande, le catholicisme est cher aux hommes comme symbole de la nationalité.
La religion y a sur tout une influence politique. Un prêtre irlandais qui se
fait ami des Anglais est bientôt chassé du pays. Nulle église, au moyen âge, ne
resta plus longtemps indépendante de Rome que celle d'Irlande et de Bretagne.
La dernière essaya longtemps de se soustraire à la primatie de Tours, et lui
opposa celle de Dôle.
Les familles étaient
Weitere Kostenlose Bücher