Notre France, sa géographie, son histoire
esprit indomptable d'opposition au gouvernement
central.
Le Poitou est la bataille du Midi et du Nord. C'est près de Poitiers
que Clovis a défait les Goths, que Charles-Martel a repoussé les Sarrasins, que
l'armée anglo-gasconne du prince Noir a pris le roi Jean. Mêlé de droit romain
et de droit coutumier, donnant ses légistes au Nord, ses troubadours au Midi,
le Poitou est lui-même comme sa Mélusine, assemblage de natures diverses,
moitié femme et moitié serpent. C'est dans le pays du mélange, dans le pays des
mulets et des vipères, — Poitiers en envoyait autrefois jusqu'à Venise, — que
ce mythe étrange a dû naître. Dans les marches alors sauvages, entre le pays de
Merlin et le pays de Mélusine, sur les landes à perte de vue qui témoignent des
vieilles guerres et d'éternels ravages, le Diable aussi était chez lui. Quelque
attrait qu'eussent pour lui les âpres fourrés de la Lorraine, les noires
sapinières du Jura, ses préférences étaient peut-être pour nos marches de
l'Ouest.
Ce génie mixte et contradictoire a empêché le Poitou de rien
achever ; il a tout commencé. Et d'abord la vieille ville romaine de
Poitiers, aujourd'hui si solitaire, fut, avec Arles et Lyon, la première école
chrétienne des Gaules. Saint Hilaire a partagé les combats d'Athanase pour la
divinité de Jésus-Christ. Poitiers fut pour nous, sous quelques rapports, le
berceau de la monarchie, aussi bien que du christianisme.
Ces vastes arènes dont la voûte d'entrée est une gueule énorme plus
grande qu'aucune du Colysée ; ces vieilles églises romanes, leurs cryptes
ténébreuses, à la fois tombe et berceau, pourraient en dire long sur ce passé.
C'est de la cathédrale de Poitiers que brilla pendant la nuit la colonne de feu
qui guida Clovis contre les Goths. Le roi de France était abbé de Saint-Hilaire
de Poitiers, comme de Saint-Martin de Tours. Toutefois cette dernière église,
moins lettrée, mais mieux située, plus populaire, plus féconde en miracles,
prévalut sur sa sœur aînée. La dernière lueur de la poésie latine avait brillé
à Poitiers au VI e siècle, avec son évêque Fortunat ; l'aurore
de la littérature moderne y parut au XII e siècle. Guillaume IX, duc
d'Aquitaine, est le premier troubadour. C'est de lui qu'un vieil auteur
dit : « Il fut bon troubadour, bon chevalier d'armes, et courut
longtemps le monde pour tromper les dames. » Il conduisit aussi, dit-on,
six cent mille hommes à la Terre Sainte 2 .
Le Poitou semble avoir été alors un pays de libertins spirituels et
de libres penseurs. Gilbert de la Porée, né à Poitiers, et évêque de cette
ville, collègue d'Abailard à l'école de Chartres, enseigna avec la même
hardiesse, fut comme lui attaqué par saint Bernard, se rétracta comme lui, mais
ne se releva pas comme le logicien breton. La philosophie poitevine naît et
meurt avec Gilbert.
La puissance politique du Poitou n'eut guère meilleure destinée.
Elle avait commencé au IX e siècle par la lutte que soutint contre
Charles le Chauve, Aymon, père de Renaud, comte de Gascogne, et frère de
Turpin, comte d'Angoulême. Cette famille voulait être issue des deux fameux
héros de romans, saint Guillaume de Toulouse, et Gérard de Roussillon, comte de
Bourgogne. Elle fut en effet grande et puissante, et se trouva quelque temps à
la tête du Midi. Ils prenaient le titre de ducs d'Aquitaine, mais ils avaient
trop forte partie dans les populations de Bretagne et d'Anjou, qui les
serraient au Nord ; les Angevins leur enlevèrent partie de la Touraine,
Saumur, Loudun, et les tournèrent en s'emparant de Saintes. Cependant les
comtes de Poitou s'épuisaient pour faire prévaloir dans le Midi,
particulièrement sur l'Auvergne, sur Toulouse, ce grand titre de ducs
d'Aquitaine ; ils se ruinaient en lointaines expéditions d'Espagne et de
Jérusalem ; hommes brillants et prodigues, chevaliers troubadours souvent
brouillés avec l'Église, mœurs légères et violentes, tragédies domestiques. Ce
n'était pas la première fois qu'une comtesse de Poitiers assassinait sa rivale,
lorsque la jalouse Éléonore de Guyenne, transplantée en Angleterre par son
mariage avec Henri Plantagenet, fit périr la belle Rosemonde dans le labyrinthe
où son époux l'avait cachée.
Les fils d'Éléonore, Henri, Richard Cœur-de-Lion et Jean, ne surent
jamais s'ils
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