Notre France, sa géographie, son histoire
est chose contre nature dans ce paresseux
climat de Tours, de Blois et de Chinon, dans cette patrie de Rabelais, près du
tombeau d'Agnès Sorel. Elle naquit aussi dans cette bonne Touraine, où le
paysan parle encore notre vieux gaulois dans tout son charme, mollement comme
on sait, lentement et avec un semblant de naïveté.
Chenonceaux, Chambord, Montbazon, Langeais, Loches, tous les favoris
et favorites de nos rois, ont aussi leurs châteaux le long de la rivière. C'est
le pays du rire et du rien faire .
Nous sommes déjà loin de celui où la bruyère fleurit sur les pierres
et les bestiaux paissent le granit. Ici, en août comme en mai, vive verdure,
des fruits, des arbres. Si vous regardez du bord, l'autre rive semble suspendue
en l'air, tant l'eau réfléchit fidèlement le ciel : sable au bas, puis le
saule qui vient boire dans le fleuve ; derrière, le peuplier, le tremble,
le noyer, et les îles fuyant parmi les îles ; en montant, des têtes rondes
d'arbres qui s'en vont moutonnant doucement les uns sur les autres, pendant
qu'elle s'oublie, l'aimable Loire, s'oublie en méandres et s'endort. Il en est
de même de la volonté. François I er au retour de Madrid, ayant perdu
pour toujours le goût de l'action, s'amusera, pendant douze ans, à bâtir
Chambord.
Molle et sensuelle contrée ! c'est bien ici que l'idée dut venir
de faire la femme reine des monastères, et de vivre sous elle dans une
voluptueuse obéissance, mêlée d'amour et de sainteté. Aussi jamais abbaye n'eut
la splendeur de Fontevrault. Il en reste aujourd'hui cinq églises. Plus d'un
roi y voulut être enterré : même le farouche Richard Cœur-de-Lion leur
légua son cœur ; il croyait que ce cœur meurtrier et parricide finirait
par reposer peut-être dans une douce main de femme, et sous la prière des
vierges.
Toutefois, la Loire n'est pas le fleuve de la civilisation ;
entre Angers et Nantes, les villages s'éloignent du rivage mobile, les bateaux
attendent le vent de mer pour remonter, et plus on monte, plus on est ensablé
aux basses eaux ; entre Angers et Saumur, le fleuve est solitaire. Partout
vous rencontrez la richesse du sol et du luxe, mais non celle de l'industrie.
Ce ne sont pas des fermes, mais des maisons de plaisance. Rien n'indique le
peuple. La Loire ne pourra jamais prévaloir sur la Seine. Chambord fût bâti
pour les plaisirs de la conversation. Blois, perché sur son pic, rappelle de
tout autres souvenirs. L'abîme s'ouvre des terrasses du haut jusqu'au bas. On
songe à la prodigieuse chute que dut faire le corps de Guise. Plus bas, la
salle tragique où, par les ordres du roi, fut brûlé le cadavre. Plus bas
encore, la belle et nonchalante Loire qui reçut indifféremment les cendres,
comme plus tard, les noyades de Carrier. Cela gâte le plaisir qu'on prendrait à
s'oublier dans ce beau pays.
Pour trouver sur cette Loire quelque chose de plus sévère, il faut
remonter au coude par lequel elle s'approche de la Seine, jusqu'à la sérieuse
Orléans, ville de légistes au moyen âge, puis calviniste, puis janséniste,
aujourd'hui industrielle. Mais je parlerai plus tard du centre de la
France ; il me tarde de pousser au Midi ; j'ai parlé des Celtes de
Bretagne, je veux m'acheminer vers les Ibères, vers les Pyrénées.
1 Charles le Chauve, à son tour, s'en fit élever une
en regard de la Bretagne.
III
LE POITOU - AUNIS - VENDÉE
LE POITOU
Le Poitou, que nous trouvons de l'autre côté de la Loire, en face de
la Bretagne et de l'Anjou, forme l'anneau entre le Nord et le Midi, roman par
ses monuments, septentrional par la langue, c'est un pays formé d'éléments très
divers, mais non point mélangés. Trois populations fort distinctes y occupent
trois bandes de terrains qui s'étendent du Nord au Midi 1 . De là, les
contradictions apparentes qu'offre l'histoire de cette province. Le Poitou est
le centre du calvinisme ; au XVI e siècle, il recrute les armées
de Coligny, et tente la fondation d'une république protestante ; et c'est
du Poitou qu'est sorti de nos jours l'opposition catholique et royaliste de la
Vendée. La première époque appartient surtout aux hommes de la côte ; la
seconde, surtout, au Bocage vendéen. Toutefois l'une et l'autre se rapportent à
un même principe, dont le calvinisme républicain, dont le royalisme catholique
n'ont été que la forme :
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