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Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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pis que les écueils, pis que la tempête.
     La nature est atroce, l'homme est atroce, et ils semblent s'entendre. Naguère
     encore, dès que la mer leur jetait un pauvre vaisseau, ils couraient à la côte,
     hommes, femmes et enfants ; ils tombaient sur cette curée. On assure
     qu'ils n'attendaient pas toujours le naufrage. Tout vaisseau était un ennemi.
     Souvent, dit-on, une vache, promenant à ses cornes un fanal mouvant l'amenait
     sur les écueils. Dieu sait alors quelles scènes de nuit ! 4 .
    L'homme est dur sur cette côte. Fils maudit de la création, vrai Cain,
     pourquoi pardonnerait-il à Abel ? La nature ne lui pardonne pas. La vague
     l'épargne-t-elle quand dans les terribles nuits de l'hiver, il va par les
     écueils attirer le varech flottant qui doit engraisser son champ stérile, et
     que si souvent le flot apporte l'herbe et emporte l'homme ?
     L'épargne-t-elle quand il glisse en tremblant sous la pointe du Raz, aux
     rochers rouges où s'abîme l' enfer de Plogoff , à côté de la baie des
     Trépassés , où les courants portent les cadavres depuis tant de
     siècles ? C'est un proverbe breton : « Nul n'a passé le Raz sans
     mal ou sans frayeur. » Et encore : « Secourez-moi, grand Dieu, à
     la pointe du Raz, mon vaisseau est si petit et la mer est si grande 5 . »
    Là, la nature expire, l'humanité devient morne et froide. Nulle
     poésie, peu de religion ; le christianisme y est d'hier. Michel Noblet fut
     l'apôtre de Batz en 1648. Dans les îles de Sein, de Batz, d'Ouessant, les
     mariages sont tristes et sévères. Les filles font, sans rougir, les démarches
     pour leur mariage. La femme y travaille plus que l'homme, et dans les îles
     d'Ouessant, elle y est plus grande et plus forte. C'est qu'elle cultive la
     terre ; lui, il reste assis au bateau, bercé et battu par la mer, sa rude
     nourrice. Les animaux aussi s'altèrent et semblent changer de nature. Les
     chevaux, les lapins sont d'une étrange petitesse dans ces îles.
     
    Asseyons-nous à cette formidable pointe du Raz, sur ce rocher miné, à
     cette hauteur de trois cents pieds, d'où nous voyons sept lieues de côtes.
     C'est ici, en quelque sorte, le sanctuaire du monde celtique. Ce que vous
     apercevez par delà la baie des Trépassés, est l'île de Sein, triste banc de
     sable sans arbres et presque sans abri ; quelques familles y vivent,
     pauvres et compatissantes, qui, tous les ans, sauvent des naufragés. Cette île
     était la demeure des vierges sacrées qui donnaient aux Celtes beau temps ou
     naufrage. Là, elles célébraient leur triste et meurtrière orgie ; et les
     navigateurs entendaient avec effroi de la pleine mer le bruit des cymbales
     barbares. Cette île, dans la tradition, est le berceau de Myrddyn, le Merlin du
     moyen âge. Son tombeau est de l'autre côté de la Bretagne, dans la forêt de
     Brocéliande, sous la fatale pierre où sa Vyvyan l'a enchanté. Tous ces rochers
     que vous voyez, ce sont des villes englouties ; c'est Douarnenez, c'est
     Is, la Sodome bretonne ; ces deux corbeaux, qui vont toujours volant
     lourdement au rivage, ne sont rien autre que les âmes du roi Grallon et de sa
     fille ; et ces sifflements, qu'on croirait ceux de la tempête, sont les crierien , ombres des naufragés qui demandent la sépulture.
    A Lanvau, près Brest, s'élève, comme la borne du continent, une grande
     pierre brute. De là, jusqu'à Lorient, et de Lorient à Quiberon et Carnac, sur
     toute la côte méridionale de la Bretagne, vous ne pouvez marcher un quart
     d'heure sans rencontrer quelques-uns de ces monuments rudes et muettes pierres
     qu'on appelle druidiques. Vous les voyez souvent de la route dans des landes
     couvertes de houx et de chardons.
    Qu'on veuille y voir des autels, des tombeaux, ou de simples souvenirs
     de quelque événement, ces monuments ne sont rien moins qu'imposants, quoi qu'on
     ait dit. Mais l'impression en est triste, ils ont quelque chose de
     singulièrement rude et rebutant.
    Ce sont de grosses pierres basses, dressées et souvent un peu
     arrondies par le haut ; ou bien, une table de pierre portant sur trois ou
     quatre pierres droites. Il semble qu'on ait tiré parti des rocs, sur place, en
     les arrondissant, en fouillant en dessous et en les étageant de pierres.
    On croit sentir dans ce premier essai de l'art une main déjà
     intelligente, mais aussi dure, aussi peu humaine que le roc qu'elle a façonné.
     Nulle inscription, nul

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