Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
Vom Netzwerk:
d'autant plus nombreuses en Bretagne, qu'elles
     étaient plus pauvres. C'était une idée bretonne d'avoir le plus d'enfants
     possible, c'est-à-dire le plus de soldats qui allassent gagner au loin et qui
     rapportassent. Dans les vraies usances bretonnes, la maison paternelle, le
     foyer, restait au plus jeune ; les aînés étaient mis dehors ; ils se
     jetaient dans une barque ou sur un mauvais petit cheval, et tant les portait la
     barque ou l'indestructible bête, qu'ils revenaient au manoir refaits, vêtus et
     passablement garnis.
    La noblesse innombrable et pauvre de la Bretagne était plus rapprochée
     du laboureur. Il y avait là aussi quelque chose des habitudes de clan. Le
     vasselage n'y était pas un simple rapport de terre, de service militaire, mais
     une relation intime entre le chef et ses hommes non sans analogie avec le cousinage fictif des higlanders écossais.
    Une foule de familles de paysans se regardaient comme nobles ;
     quelques-uns se croyaient descendus d'Arthur ou de la fée Morgane, et
     plantaient, dit-on, des épées pour limites à leurs champs. Il s'asseyaient et
     se couvraient devant leur seigneur en signe d'indépendance. Dans plusieurs
     parties de la province, le servage était inconnu : les domaniers et
     quevaisiers, quelque dure que fût leur condition, étaient libres de leur corps,
     si leur terre était serve. Devant le plus fier des Rohan, ils se seraient
     redressés en disant, comme ils font, d'un ton si grave : Me zo deuzar
     armoriq  ; et moi aussi je suis Breton. Un mot profond a été dit sur la
     Vendée, et il s'applique aussi à la Bretagne : Ces populations sont au
     fond républicaines  ; républicanisme social, non politique.
    Ne nous étonnons pas que cette race celtique, la plus obstinée de
     l'ancien monde, ait fait quelques efforts dans les derniers temps pour
     prolonger encore sa nationalité ; elle l'a défendue de même au moyen âge.
     La Bretagne, sous forme de duché et comme telle, classée parmi les grands
     fiefs, était au fond tout autre chose, une chose si spéciale, si antique que
     personne ne la comprenait. Outre le vieil esprit de clan, le duc croyait ne
     tenir de nul autre que de Dieu. Il dédaignait le chapeau ducal et, ayant,
     disait-il, sauvé la royauté, portait couronne aussi bien que le roi. Pour que
     l'Anjou prévalût au XII e siècle sur la Bretagne, il a fallu que les
     Plantagenets devinssent, par deux mariages, rois d'Angleterre et ducs de
     Normandie et d'Aquitaine. La Bretagne, pour leur échapper, s'est donnée à la
     France, mais il leur a fallu encore un siècle de guerre entre les partis
     français et anglais, entre les Blois et les Montfort. Quand le mariage d'Anne
     avec Louis XII eut réuni la province au royaume, quand Anne eut écrit sur le
     château de Nantes la vieille devise du château des Bourbons ( Qui qu'en
     grogne, tel est mon plaisir ), alors commença la lutte légale des États, du
     Parlement de Rennes, sa défense du droit coutumier contre le droit romain, la
     guerre des privilèges provinciaux contre la centralisation monarchique.
     Comprimée durement par Louis XIV 7 , la résistance
     recommença sous Louis XV, et La Chalotais, dans un cachot de Brest, écrivit
     avec un cure-dent son courageux factum contre les jésuites.
    Aujourd'hui la résistance expire, la Bretagne devient peu à peu toute
     France. Le vieil idiome, miné par l'infiltration continuelle de la langue
     française, recule peu à peu. Le génie de l'improvisation poétique, qui a
     subsisté si longtemps chez les Celtes d'Irlande et d'Écosse, qui chez nos
     Bretons même n'est pas tout à fait éteint, devient pourtant une singularité
     rare. Jadis, aux demandes de mariage, le bazvalan 8 chantait un couplet de sa
     composition ; la jeune fille répondait quelques vers. Aujourd'hui ce sont
     des formules apprises par cœur qu'ils débitent. Les essais, plus hardis
     qu'heureux des Bretons qui ont essayé de raviver par la science la nationalité
     de leur pays, n'ont été accueillis que par la risée. Moi-même j'ai vu à
     Tréguier le savant ami de le Brigant, le vieux M. Duigon, qu'ils ne connaissent
     que sous le nom de M. Système, au milieu de cinq ou six volumes dépareillés, —
     tout ce qui restait sans doute de sa librairie — gisant à terre pêle-mêle avec
     des ognons, dans un désordre aussi pittoresque qu'eût pu le souhaiter Walter
     Scott. L'homme était lui-même la plus curieuse

Weitere Kostenlose Bücher