Notre France, sa géographie, son histoire
d'autant plus nombreuses en Bretagne, qu'elles
étaient plus pauvres. C'était une idée bretonne d'avoir le plus d'enfants
possible, c'est-à-dire le plus de soldats qui allassent gagner au loin et qui
rapportassent. Dans les vraies usances bretonnes, la maison paternelle, le
foyer, restait au plus jeune ; les aînés étaient mis dehors ; ils se
jetaient dans une barque ou sur un mauvais petit cheval, et tant les portait la
barque ou l'indestructible bête, qu'ils revenaient au manoir refaits, vêtus et
passablement garnis.
La noblesse innombrable et pauvre de la Bretagne était plus rapprochée
du laboureur. Il y avait là aussi quelque chose des habitudes de clan. Le
vasselage n'y était pas un simple rapport de terre, de service militaire, mais
une relation intime entre le chef et ses hommes non sans analogie avec le cousinage fictif des higlanders écossais.
Une foule de familles de paysans se regardaient comme nobles ;
quelques-uns se croyaient descendus d'Arthur ou de la fée Morgane, et
plantaient, dit-on, des épées pour limites à leurs champs. Il s'asseyaient et
se couvraient devant leur seigneur en signe d'indépendance. Dans plusieurs
parties de la province, le servage était inconnu : les domaniers et
quevaisiers, quelque dure que fût leur condition, étaient libres de leur corps,
si leur terre était serve. Devant le plus fier des Rohan, ils se seraient
redressés en disant, comme ils font, d'un ton si grave : Me zo deuzar
armoriq ; et moi aussi je suis Breton. Un mot profond a été dit sur la
Vendée, et il s'applique aussi à la Bretagne : Ces populations sont au
fond républicaines ; républicanisme social, non politique.
Ne nous étonnons pas que cette race celtique, la plus obstinée de
l'ancien monde, ait fait quelques efforts dans les derniers temps pour
prolonger encore sa nationalité ; elle l'a défendue de même au moyen âge.
La Bretagne, sous forme de duché et comme telle, classée parmi les grands
fiefs, était au fond tout autre chose, une chose si spéciale, si antique que
personne ne la comprenait. Outre le vieil esprit de clan, le duc croyait ne
tenir de nul autre que de Dieu. Il dédaignait le chapeau ducal et, ayant,
disait-il, sauvé la royauté, portait couronne aussi bien que le roi. Pour que
l'Anjou prévalût au XII e siècle sur la Bretagne, il a fallu que les
Plantagenets devinssent, par deux mariages, rois d'Angleterre et ducs de
Normandie et d'Aquitaine. La Bretagne, pour leur échapper, s'est donnée à la
France, mais il leur a fallu encore un siècle de guerre entre les partis
français et anglais, entre les Blois et les Montfort. Quand le mariage d'Anne
avec Louis XII eut réuni la province au royaume, quand Anne eut écrit sur le
château de Nantes la vieille devise du château des Bourbons ( Qui qu'en
grogne, tel est mon plaisir ), alors commença la lutte légale des États, du
Parlement de Rennes, sa défense du droit coutumier contre le droit romain, la
guerre des privilèges provinciaux contre la centralisation monarchique.
Comprimée durement par Louis XIV 7 , la résistance
recommença sous Louis XV, et La Chalotais, dans un cachot de Brest, écrivit
avec un cure-dent son courageux factum contre les jésuites.
Aujourd'hui la résistance expire, la Bretagne devient peu à peu toute
France. Le vieil idiome, miné par l'infiltration continuelle de la langue
française, recule peu à peu. Le génie de l'improvisation poétique, qui a
subsisté si longtemps chez les Celtes d'Irlande et d'Écosse, qui chez nos
Bretons même n'est pas tout à fait éteint, devient pourtant une singularité
rare. Jadis, aux demandes de mariage, le bazvalan 8 chantait un couplet de sa
composition ; la jeune fille répondait quelques vers. Aujourd'hui ce sont
des formules apprises par cœur qu'ils débitent. Les essais, plus hardis
qu'heureux des Bretons qui ont essayé de raviver par la science la nationalité
de leur pays, n'ont été accueillis que par la risée. Moi-même j'ai vu à
Tréguier le savant ami de le Brigant, le vieux M. Duigon, qu'ils ne connaissent
que sous le nom de M. Système, au milieu de cinq ou six volumes dépareillés, —
tout ce qui restait sans doute de sa librairie — gisant à terre pêle-mêle avec
des ognons, dans un désordre aussi pittoresque qu'eût pu le souhaiter Walter
Scott. L'homme était lui-même la plus curieuse
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