Notre France, sa géographie, son histoire
l'aisance. Montauban se découvre en un bel
amphithéâtre. Bien assis sur son plateau, bien défendu, en bas, par ses fossés
profonds, il arrêta court Louis XIII lorsqu'il vint s'y heurter étourdiment, en
essayer le siège. Regardez de là devant vous. Toute la chaîne des Pyrénées va
vous apparaître. A une telle distance, cinquante lieues, ce n'est qu'une image
flottante, une vague et fuyante apparition. C'est pourtant le réel et la
barrière d'un monde, l'inconnu est au delà.
Si, reprenant le voyage, vous appuyez à gauche vers les montagnes,
vous trouvez déjà la chèvre suspendue au coteau aride, et le mulet, sous sa
charge d'huile, suit à mi-côte le petit sentier. Vous arrivez le soir dans
quelque grande et triste ville, si vous voulez Toulouse. Bâtie d'un seul côté
du fleuve, la rive solitaire qui n'a pas de quai, vous rappellera le Tibre. A
cet accent sonore, vous vous croiriez en Italie pour vous détromper, il suffit
de regarder ces maisons de bois et de brique ; la parole brusque, l'allure
hardie et vive vous rappelleront aussi que vous êtes en France. Les gens aisés
du moins sont Français ; le petit peuple est tout autre chose, peut-être
Espagnol ou Maure. C'est ici cette vieille Toulouse, si grande sous ses
comtes ; sous nos rois, son Parlement lui a donné encore la royauté, la
tyrannie du Midi. Ces légistes violents, les Plasian, les Nogaret qui portèrent
à Boniface VIII le soufflet de Philippe le Bel, s'en justifièrent souvent aux
dépens des hérétiques ; ils en brûlèrent quatre cents en moins d'un
siècle. Plus tard, ils se prêtèrent aux vengeances de Richelieu, jugèrent
Montmorency et le décapitèrent dans leur belle salle marquée de rouge 2 . Ils se glorifiaient d'avoir le Capitole de
Rome, et la cave aux morts 3 de Naples, où les cadavres se conservaient si bien.
Au Capitole de Toulouse, les archives de la ville étaient gardées dans une
armoire de fer, comme celles des flamines romains ; et le Sénat gascon
avait écrit sur les murs de sa curie : Videant consules ne quid
respublica detrimenti capiat.
Ne nous arrêtons pas trop longtemps à Saint-Sernin, superbe église de
sang. Le chœur et la crypte sont le monument fort sombre de la première
croisade (1095). Pour emporter une impression plus douce, reposons-nous un
instant sous l'admirable petit cloître de la Renaissance , moins
grandiose que le Campo santo, mais si joli d'effet, avec ses légères colonnes
géminées qui doublent la perspective. L'art ne s'est pas concentré sous ces
merveilleux portiques ; il est un peu partout à Toulouse, au fond des rues
tristes et étroites qu'habitait la noblesse. L'art de la Renaissance a dû être
la vocation des Toulousains. On devrait la réveiller en fondant une école de dessin d'ornements .
Toulouse est le point central du grand bassin du Midi. C'est là, ou à
peu près, que viennent les eaux des Pyrénées et des Cévennes le Tarn et la
Garonne, pour s'en aller ensemble à l'Océan. La Garonne, fille joyeuse de la
plus sombre des mères, la noire Maladetta, sur sa route, reçoit tout. Les
rivières sinueuses et tremblotantes du Limousin et de l'Auvergne y coulent au
Nord, par Périgueux, Bergerac ; de l'Est et des Cévennes, le Lot, la
Viaur, l'Aveyron et le Tarn s'y rendent avec quelques coudes plus ou moins
brusques, par Rodez et Alby. Le Nord donne les rivières, le Midi les torrents.
Des Pyrénées descend l'Ariège ; et la Garonne, déjà grosse du Gers et de
la Baize, décrit au nord-ouest une courbe élégante, qu'au midi répète l'Adour
dans ses petites proportions. Toulouse sépare à peu près le Languedoc de la
Guyenne, ces deux contrées si différentes sous la même latitude.
1 Comme nous l'avons dit, ce voyage à travers la
France a été fait en diligence, c'est le seul moyen de bien voir le
pays.
2 Elle l'était encore au dernier siècle. (Piganiol de
la Force.)
3 On y conservait des morts de cinq cents
ans.
VIII
DORDOGNE ET GUIENNE
La Garonne passe la vieille Toulouse, le vieux Languedoc romain et
gothique, et, grandissant toujours, elle s'épanouit comme une mer en face de la
mer, en face de Bordeaux.
Mais la route la plus naturelle pour entrer en Guienne serait,
peut-être, celle que j'ai suivie en quittant la mer de brouillards qui marque
sous Angoulême, le cours de ses trois rivières. La Dordogne, où vous
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