Notre France, sa géographie, son histoire
hommes de ce rivage, amants de l'impossible, chercheurs
acharnés du péril aux abîmes des monts, aux sombres mers des pôles 1 . Ils pouvaient courir sans en trouver de pire
que la leur, la côte des fous . Les monts secondaires qui s'y dressent,
tel fantasquement découpé, tel demi-ruiné, pendant et menaçant, ont des airs
chimériques. Au pied, les grandes landes peuplées la nuit de visions, étaient
au moyen âge, les temples du Sabbat.
1 Les Basques. Nous y reviendrons au chapitre des
Pyrénées.
X
LE BÉARN - LE PAYS D'ARMAGNAC
LE BÉARN
Ce n'est ni de Saint-Jean-de-Luz, ni de Bayonne, assise au repos sur
sa baie tranquille, que nous aurons la première vision des Pyrénées. On en est
trop près. On les touche presque, mais on ne les voit pas.
De Pau, qui s'en éloigne, nous découvrirons au contraire à l'horizon
leur vaste panorama 1 . Grandiose dans la lumière du jour, le matin, aux
premières lueurs de l'aube dont s'éclairent les glaciers, il devient
fantastique. Au premier plan, en contraste avec les monts sublimes, les vignes
du Jurançon, vin fin dont Henri IV connut le goût avant celui du lait de sa
mère.
Si vous arrivez à Pau un dimanche, vous verrez toute la population
sur les places. L'Espagnol s'y mêle, pieds nus ou chaussé de spartilles.
gravement drapé dans son manteau brun qui ne le quitte jamais. L'Espagnole,
vêtue de rouge et de noir, suit, là-bas, la procession dans une dévotion à la
sainte Thérèse. — Vous reconnaîtrez bien vite le Béarnais à sa petite taille, à
sa politesse excessive. Tous vous saluent en Béarn. C'est toujours Henri IV
pour la parole vive, tous les dehors de l'amitié sans réalité (et pourtant sans
fausseté), nulle grossièreté gasconne.
La femme est ici moins fine qu'à Bayonne le pas est un peu plus
lourd. Mais ce n'est pas à Pau qu'il faut chercher la vraie béarnaise vous la
rencontrerez plutôt à l'entrée de la vallée d'Osseau, suivant l'étroit sentier
sur son cheval assise à la murillo avec le morceau de drap plié sur la
tête pour coiffure, comme si les hommes avaient compris l'importance de la loi
salique : mulier discapilata . Cette figure sévère, affinée par la
maigreur, ce vieux costume noir, quasi monastique, vous reculent de deux
siècles. N'est-ce pas Jeanne d'Albret chevauchant à travers son pauvre royaume
de Navarre ?
La dynastie des vicomtes du Béarn a commencé au X e siècle ; ils se reconnaissaient vassaux immédiats des comtes de Gascogne,
gascons comme eux, mais avec plus de finesse. Le possesseur du Béarn au
XV e siècle est Jean d'Albret ; son fils, en épousant Marguerite
d'Alençon, grand'mère d'Henri IV, prépare la réunion de la Navarre à la
couronne. Mais les villes, en se donnant au roi entendaient bien continuer à
vivre de leur vie indépendante. Le Béarnais, en vrai gascon, trouva, pour les
rassurer, le mot heureux que l'on sait et qui sauva tout : « Je ne
donne pas le Béarn à la France, mais la France au Béarn » 2 .
Il n'y aurait à redire, de ces Gascons-béarnais, que leur petite
taille. Mais ces petits hommes noirs et brûlés, à méchantes mines, ont été les
meilleurs marcheurs de l'Europe, pleins de feu, d'esprit, de ressources, d'une
main leste et vive qui tirait dix coups pour un seul, comme on le vit au
XV e siècle quand la France les mena en Italie.
Il fallait bien qu'ils fussent gens de ressources ayant à courir le
monde. Le droit d'ainesse régnait en Gascogne. L'aîné restait fièrement au
Castel, sur sa roche, sans vassal que lui-même et se servant par simplicité.
Les cadets s'en allaient gaiement devant eux, tant que la terre s'étendait,
bons piétons, comme on sait, allant à pied par goût tant qu'ils ne trouvaient
pas un cheval, riches d'une épée de famille, d'un nom sonore et d'une cape
percée ; du reste, nobles comme le roi, c'est-à-dire comme lui sans
fiefs.
Ce portrait du Gascon du Midi pour être vieux, n'est pas moins
ressemblant. Il en reste quelque chose. Alors, aujourd'hui et toujours, ces
gens ont exploité de préférence un fond excellent, la simplicité et la
pesanteur des hommes du Nord. Aussi, émigraient-ils volontiers. Ce n'était pas
pour bâtir comme les Limousins, ni pour vendre comme les gens d'Auvergne. Les
Gascons ne vendaient qu'eux-mêmes comme soldats, comme domestiques des
princes ; ils servaient pour devenir
Weitere Kostenlose Bücher