Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
versaient des flots du plus pur de leur sang pour le seul intérêt des oppresseurs des mers : ces calamités ont touché les deux souverains ; ils ont voulu les faire cesser, et l'empereur de Russie, lors même qu'il était animé par un si puissant motif, a désiré faire sentir à l'Angleterre les effets de son ancienne affection : il a demandé que la France acceptât sa médiation, condition que la générosité de l'empereur de Russie a rendu moins pénible à l'empereur des Français. Elle pouvait l'être cependant, puisque la médiation qu'il s'agissait d'accepter était celle d'un prince si nouvellement réconcilié avec la France ; et cette médiation ainsi proposée, ainsi accueillie, l'Angleterre, au lieu de l'accepter avec empressement, a répondu à tant de générosité avec une défiance insultante ; elle a demandé qu'avant tout, on lui communiquât les articles secrets du traité de Tilsitt qui la concernaient ; on lui a répondu qu'il n'existait pas d'articles secrets qui la concernassent, et il aurait fallu sans doute, que l'empereur de Russie en forgeât exprès pour dissiper un odieux soupçon : lui qui, dans les négociations, a eu toujours à coeur de laisser la porte ouverte aux arrangemens entre la France et l'Angleterre.
Il n'avait pas lieu de s'attendre à être si mal récompensé de soins si généreux. En vérité, il est difficile de porter plus loin l'oubli de toutes les convenances, de tout sentiment et de toute raison.
[L'Angleterre se défend d'avoir eu, plus que la Russie, un intérêt immédiat à la guerre de Prusse.]
Les ministres de Londres manquent de mémoire d'une manière bien étrange. S'ils voulaient persuader à l'Europe qu'ils n'avaient aucune liaison avec la Russie lorsque la guerre a éclaté entre la France et la Prusse, il fallait effacer de tous les souvenirs, retirer de tous les documens publics, les pièces qu'ils firent imprimer sur les événements de 1805. Ces pièces publiées par l'Angleterre, ont appris que le cabinet de Londres, pour éloigner l'orage qui se préparait à Boulogne, fit alors un traité avec la Russie et l'Autriche. Ce fut contre opinion du prince Charles et de tous les hommes éclairés, qu'une armée autrichienne se précipita sur l'Iller. La faction que le gouvernement anglais avait alors à Vienne, n'examina pas s'il convenait aux puissances de la coalition d'attendre que les troupes russes fussent réunies aux troupes autrichiennes : ce retard de trois mois effrayait l'Angleterre ; les longues nuits de l'automne la menaçaient d'un trop grand péril, et Cobentzel envoya la note qui décidait la guerre, au moment même où l'armée de Boulogne était embarquée ; et Mack finissait ses destins à Ulm, tandis que les Russes étaient encore en Pologne. Lorsqu'on peut répondre à l'Angleterre par des faits aussi publics, comment nierait-elle que c'est pour elle, et pour elle seule, que l'Autriche et la Russie ont fait la guerre ? L'Autriche ne tarda point à conclure sa paix ; la Russie resta en guerre avec la France.
Depuis, un plénipotentiaire russe signa un traité de paix à Paris ; la Russie ne le ratifia point, par la seule raison qu'ayant fait la guerre avec vous, c'était avec vous qu'elle voulait faire la paix. Ainsi, après avoir fait la guerre pour l'Angleterre, c'est encore pour elle que la Russie n'a pas fait la paix ; c'est encore pour elle que la Russie a continué la guerre. Ce n'est point pour la Prusse, parce que la Russie ne devait rien à cette puissance ; elle ne devait rien à cette puissance, parce que la Prusse, après avoir signé à Berlin un traité de coopération, l'avait presque aussitôt fait désavouer à Vienne, s'était séparée de ses alliés, et avait conclu avec la France ses arrangemens particuliers. La possession du Hanovre, désirée par la Prusse, l'avait été non-seulement sans l'intention de la Russie, mais contre ses intérêts et sa volonté. C'est encore une vérité historique, que la Prusse a armé sur le bruit du traité de paix signé à Paris par M. Doubril, et d'après l'assurance qui lui fut donnée par le marquis de Lucchesini, que, par un article secret de ce traité, la Pologne avait été cédée au grand-duc Constantin. Cet inconcevable cabinet de Berlin, après avoir trompé tout le monde, avait enfin été pris dans ses propres filets. Il est donc vrai que lorsque la Prusse arma en 1806, ce fut tout à la fois contre la France et contre la Russie ; il n'est
Weitere Kostenlose Bücher