Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
l'épée dans les reins.
Le duc de Castiglione part de Lyon avec un corps d'armée considérable, composé de troupes d'élite, pour se porter en Franche-Comté et en Suisse.
Le congrès de Châtillon continue toujours, mais l'ennemi y porte toute espèce d'entraves. Les cosaques arrêtent à chaque pas les courriers, et leur font faire des détours tels, que, quoiqu'on ne soit qu'à trente lieues de Châtillon en ligne droite, les courriers n'arrivent qu'après quatre à cinq jours de course. C'est la première fois qu'on viole ainsi le droit des gens. Chez les nations les moins civilisées, les courriers des ambassadeurs sont respectés, et aucun empêchement n'est mis aux communications des négociateurs avec leur gouvernement.
Les habitans de Paris devaient s'attendre aux plus grands malheurs, si, l'ennemi parvenant à leurs portes, ils lui eussent livré leur ville sans défense. Le pillage, la dévastation et l'incendie auraient fini les destinées de cette belle capitale.
Le froid est extrêmement vif. Cette circonstance a été favorables à nos ennemis, puisqu'elle leur a permis d'évacuer leur artillerie et leurs bagages par tous les chemins. Sans cela, plus de la moitié de leurs voitures seraient tombées en notre pouvoir.
Le 24 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente.
L'empereur s'est rendu le 22, à deux heures après midi, dans la petite ville de Mery-sur-Seine.
Le général Boyer a attaqué à Mery les débris des corps des généraux Blücher, Sacken et Yorck, qui avaient passé l'Aube pour rejoindre l'armée du prince de Schwartzenberg à Troyes. Le général Boyer a poussé l'ennemi au pas de charge, l'a culbuté et s'est emparé de la ville. L'ennemi, dans sa rage, y a mis le feu avec tant de rapidité, qu'il a été impossible de traverser l'incendie pour le poursuivre. Nous avons fait une centaine de prisonniers.
Du 22 au 23, l'empereur a eu son quartier-général au petit bourg de Châtres.
Le 23, le prince Wenzel-Lichtenstein est arrivé au quartier-général. Ce nouveau parlementaire était envoyé par le prince Schwartzenberg pour proposer un armistice.
Le général Milhaud, commandant la cavalerie du cinquième corps, a fait prisonniers deux cents hommes à cheval, entre Pavillon et Troyes.
Le général Gérard, parti de Sens et marchant par Ville-neuve-l'Archevêque, Villemont et Saint-Liebaut, a rencontré l'arrière-garde du prince Maurice de Lichtenstein, lui a pris six pièces de canon et six cents hommes montés, qui ont été entourés par la brave division de cavalerie du général Roussel.
Le 23, nos troupes investissaient Troyes de tous côtés. Un aide-de-camp russe est venu aux avant-postes, pour demander le temps d'évacuer la ville, sans quoi elle serait brûlée. Cette considération a arrêté les mouvemens de l'empereur.
La ville a été évacuée dans la nuit, et nous y sommes entrés ce matin.
Il est impossible de se faire une idée des vexations auxquelles les habitans ont été en proie pendant les dix-sept jours de l'occupation de l'ennemi.
On se peindrait aussi difficilement l'enthousiasme et l'exaltation des sentimens qu'ils ont montrés à l'arrivée de l'empereur. Une mère qui voit ses enfans arrachés à la mort, des esclaves qui voient briser leurs fers après la captivité la plus cruelle, n'éprouvent pas une joie plus vive que celle que les habitans de Troyes ont manifestée. Leur conduite a été honorable et digne d'éloges. Le théâtre a été ouvert tous les soirs, mais aucun homme, aucune femme, même des classes inférieures, n'a voulu y paraître.
Le sieur Gau, ancien émigré, et le sieur Viderange, ancien garde-du-corps, se sont prononcés en faveur de l'ennemi, et ont porté la croix de Saint-Louis. Ils ont été traduits devant une commission prévôtale et condamnés à mort. Le premier a subi son jugement ; le deuxième a été condamné par contumace.
La population entière demande à marcher. «Vous aviez bien raison, s'écriaient les habitans, en entourant l'empereur, de nous dire de nous lever en masse. La mort est préférable aux vexations, aux mauvais traitemens, aux cruautés que nous avons éprouvés pendant dix-sept jours.»
Dans tous les villages, les habitans sont en armes ; ils font partout main-basse sur les ennemis qu'ils rencontrent. Les hommes isolés, les prisonniers se présentent d'eux-mêmes aux gendarmes, qu'ils ne regardant plus comme des gardiens, mais comme des protecteurs.
Le général Vincent
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