Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
haut
gradé avec une recommandation de fiabilité si élevée », écrivit Montagu,
qui avait étudié des milliers de télégrammes. « Pour autant que je me
souvienne, ce n’est jamais arrivé. »
L’humeur changea du tout au tout dans le sous-sol de
l’Amirauté avec l’arrivée du message de source très secrète 2571. « Tout
le monde sautait en l’air. Nous étions si excités », se souvient Pat
Trehearne. Les femmes s’embrassaient. Les hommes se serraient la main. La
mouche avait été happée et la tension semblait être retombée.
Aucun message relatif au faux débarquement à l’Ouest de la
Sardaigne ne fut intercepté, mais les Anglais en conclurent qu’il était
« presque certain » que le commandement allemand sur le front
occidental avait reçu par téléscripteurs « des détails similaires
provenant de la lettre qui concernait cette zone ». Le message de Jodl
n’était que le hors-d’œuvre. Dès lors, les preuves commencèrent à s’accumuler.
Elles montraient que « les Allemands envoyaient des renforts dans les
zones de débarquement imaginaires en Grèce… et, répartissaient, au même moment,
leurs forces disponibles en Sardaigne ». Ce furent « des jours
merveilleux » dans l’univers de Montagu.
Winston Churchill était à Washington pour la conférence
portant le nom de code « Trident », réfléchissant avec Roosevelt sur
le débarquement en Italie, le bombardement de l’Allemagne et la guerre du
Pacifique. Un télégramme fut immédiatement envoyé au Premier ministre, indiquant
en termes sibyllins que « Mincemeat » avait atteint « les bonnes
personnes et que, de source sûre, elles réagissaient en conséquence ».
Cholmondeley jubilait intérieurement. Montagu griffonna un
mot de célébration sur une carte postale et l’envoya à Bill Jewell du HMS Seraph :
« Vous serez heureux d’apprendre que le major est très bien
installé. » Il écrivit aussi à Iris à New York : « Vendredi,
c’était presque trop beau pour être vrai. J’ai eu d’excellentes nouvelles de la
réussite d’un travail en cours (c’était même si beau que je me suis dit qu’il
devait y avoir un os quelque part). » Montagu était profondément soulagé,
mais il restait prudent, sachant que la désinformation en était encore à ses
débuts. L’Abwehr à Madrid avait mordu à l’hameçon, tout comme, semblait-il, les
analystes du service de renseignement à Berlin. Les premiers messages, écrivit
Montagu, « prouvaient que nous les avions convaincu. Parviendront-ils
maintenant à convaincre l’état-major suprême ? ».
Il n’avait pas de raison de s’en faire car, en Allemagne, le
mensonge Mincemeat était en train de se propager. Le jour où le câble de Jodl
fut envoyé aux commandements allemands en Méditerranée, Hans-Heinrich
Dieckhoff, l’ambassadeur d’Allemagne à Madrid, envoya un télégramme au
ministère des Affaires étrangères à Berlin : « D’après les
informations que nous venons de recevoir d’une source parfaitement fiable, les
Anglais et les Américains lanceront leur grande offensive sur l’Europe
méridionale au cours de la prochaine quinzaine. Le plan, comme notre informateur
a pu l’établir à partir de documents secrets anglais, consiste à lancer deux
attaques fictives sur la Sicile et le Dodécanèse, pendant que la véritable
offensive serait dirigée en deux poussées majeures sur la Crête et le
Péloponnèse. »
Il était évident que Dieckhoff avait écrit son message sans
avoir profité de l’analyse de von Roenne, car il passa à côté de la référence à
la Sardaigne. Une heure plus tard, Dieckhoff envoya un autre message dans
lequel il racontait que Francisco Gómez Jordana y Souza, le ministre espagnol
des Affaires étrangères, lui avait dit « en toute confidentialité »
qu’il fallait s’attendre à des offensives alliées en Grèce et en Méditerranée
occidentale. Le secret transpirait maintenant depuis les échelons supérieurs du
gouvernement espagnol et arrivait jusqu’aux oreilles des Allemands.
« Jordana me supplia de ne pas mentionner son nom, commenta Dieckhoff,
surtout parce qu’il voulait continuer à échanger des informations avec moi à
l’avenir. Il considérait l’information comme parfaitement fiable et pensait
qu’il était de son devoir de la communiquer. »
Finalement, les lettres Mincemeat allaient atteindre leur
cible ultime. Au bout de trois semaines et
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