Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
envoyés à
« C », le directeur du MI6, et à Montagu en personne. « Des
dispositions pourraient ensuite être prises pour avertir les destinataires ou
pour en limiter la diffusion. »
Von Roenne avait choisi de prendre les documents comme
argent comptant, et son analyse remontait maintenant la hiérarchie allemande.
Mais, tout le monde n’était pas aussi convaincu. Le major Percy Ernst Schramm,
qui tenait le journal de guerre de l’OKW, se souvient des intenses discussions
parmi les hauts gradés pour déterminer si les lettres étaient des
contrefaçons : « Nous débattions sérieusement sur la question :
“Vrai ou faux ? Vrai, peut-être ? La Corse, la Sardaigne, la Sicile,
le Péloponnèse ?”. » Le 13 mai, un officier sceptique du FHW, à
Zossen, identifié par le nom de code « Erizo », envoya un message à
l’Abwehr de Madrid, demandant plus d’informations sur la découverte des
documents. « Le bureau d’évaluation attache une importance particulière à
un exposé plus détaillé des circonstances dans lesquelles les documents ont été
trouvés. Les aspects plus particulièrement intéressants sont : quand le
corps s’est-il échoué, quand et où l’avion est-il supposé s’être écrasé.
L’avion et d’autres corps ont-ils été observés, ainsi que d’autres détails. Réponse
urgente par télégramme si nécessaire. »
Les analystes allemands étudient depuis plusieurs jours déjà
les lettres et les rapports qui les accompagnent. La demande de plus amples
détails sur la découverte suggère que l’incohérence entre l’autopsie, indiquant
au moins huit jours de décomposition, et la chronologie de Kuhlenthal
mentionnant juste trois jours entre la catastrophe aérienne et la découverte,
n’était pas passée inaperçue. Le FHW semble aussi s’être interrogée sur le fait
qu’un cadavre en décomposition, dérivant depuis plus d’une semaine, tenait
encore une mallette lorsqu’il fut récupéré. Et si un avion s’était écrasé en
Méditerranée, où était l’épave ? Le câble fut suivi d’un coup de téléphone
du FHW, toujours pour demander plus de détails.
Le bureau de l’Abwehr de Madrid répondit d’assez mauvaise
grâce qu’un rapport détaillé sur la découverte avait déjà été demandé à
l’état-major espagnol : « Ce dernier dépêcha un officier
sur-le-champ. Les conclusions de l’officier différèrent par certains points des
faits de l’affaire tels qu’ils furent d’abord exposés par l’état-major. Le
rapport détaillé arrivera à Tempelhof [l’aéroport de Berlin] dans la soirée du
15/5. Allez le chercher. »
Kuhlenthal avait certainement remarqué le ton sceptique de
Berlin, et, comme il le faisait toujours quand il était sous pression, il
couvrit ses arrières et rejeta la faute sur les autres : « Le
10 mai, le lieutenant-colonel Pardo affirmait catégoriquement que les
réponses qu’il nous a données étaient le récit complet de toute l’affaire, sans
réserve, mais il semblerait que ce n’était pas le cas. » L’officier
espagnol envoyé par l’état-major à Huelva pour en découvrir davantage sur le
corps, et les papiers, était rentré à Madrid. « Les résultats de ses
investigations nous ont été communiqués ce matin en la présence du commandant
du lieutenant-colonel Pardo. »
L’officier d’état-major espagnol avait bien fait son
travail. Il avait interrogé la plupart des protagonistes de l’histoire, y
compris les pêcheurs, les autorités navales et le médecin légiste : son
rapport oral ajouta de nombreux détails concordants et en corrigea d’autres.
« Par rapport à la première déclaration du lieutenant-colonel Pardo, qui
affirmait que le cadavre serrait la mallette dans sa main, il semblerait que
ladite mallette ait été attachée au cadavre par une sorte de ceinture à la
taille. L’attaché-case était lié à cette ceinture par un crochet. »
Le nouveau rapport, envoyé depuis le bureau de l’Abwehr en
Espagne au colonel von Roenne au FHW, ainsi qu’aux chefs de l’Abwehr, décrivait
précisément la manière dont les papiers et la mallette avaient remonté la
chaîne de commandement espagnol, de Huelva à Cadix, puis à Madrid, avant d’être
montrés à l’amiral Moreno en personne. « Il (le ministre de la Marine) remit
l’ensemble – la mallette du messager, ainsi que tous les papiers trouvés
dans sa poche de poitrine – à l’AEM [
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