Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale

lettre avait été pliée en trois, symétriquement, une seule fois.
Une lettre qui a été pliée quand elle est sèche présente un pli « plus net
qu’un pli fait dans du papier trempé et mou, qui ressemble plus à un pli dans
du tissu ». Au microscope, on constate qu’au moins une des lettres a été
pliée deux fois, « une fois symétriquement et une seconde fois
irrégulièrement… quand la lettre était mouillée ». Les examinateurs en
déduisirent donc que lorsque les Espagnols replièrent la lettre, « ils ne
le firent pas en reprenant exactement les mêmes plis et, hormis les nouveaux
plis, des fibres de papier avaient été endommagées ».
    Un autre test fut pratiqué. Pour extraire les lettres, le
papier avait été enroulé serré autour d’une pince métallique. Les lettres
avaient été à nouveau mouillées avant d’être replacées dans les enveloppes, et
malgré le retour retardé d’Espagne, elles étaient toujours légèrement humides.
Un morceau de papier qui était roulé alors qu’il était humide avait tendance à
s’enrouler une fois sec. Les censeurs sortirent les lettres puis vérifièrent si
le papier reposait à plat ou non. Comme prévu, « alors que les lettres
commençaient à sécher naturellement, hors de l’enveloppe, les bords
commencèrent à s’incurver vers le haut, comme si la lettre avait été roulée pour
être sortie au dos de l’enveloppe ». En outre, la lettre a dû être roulée
alors qu’elle était pliée en trois, car les examinateurs remarquèrent que
« lorsque la lettre est pliée, elle s’incurve de la même façon ».
C’était la preuve tangible et irréfutable que les lettres avaient été ouvertes,
ce qui corroborait la preuve donnée par les messages interceptés.
    Les Allemands devaient s’attendre à ce que les Anglais
examinent attentivement les lettres à leur retour pour vérifier si elles
avaient été manipulées. La désinformation ne serait que plus forte si l’on
parvenait à faire croire aux Allemands que l’examen avait été effectué et que
les scientifiques anglais avaient été satisfaits de constater que les lettres
n’avaient pas été ouvertes. La meilleure personne pour faire passer le message
serait l’inconstant amiral Moreno.
    Un message fut envoyé au capitaine Hillgarth, en faisant
référence à sa conversation précédente avec l’amiral. « Informer ministre
de la Marine dès que possible que les enveloppes scellées ont été testées par
les experts et qu’il n’y avait aucune trace d’ouverture ou d’altération avant
qu’elles n’arrivent entre les mains de la marine espagnole et que l’on vous a
demandé d’exprimer notre profonde gratitude pour l’efficacité et la promptitude
avec lesquelles la marine espagnole a pris en charge tous les documents avant
qu’une personne mal intentionnée ne mette la main dessus. Vous devez dire que
vous pouvez affirmer en toute confiance que l’une des lettres était de la plus
haute importance et confidentialité et que l’appréciation exprimée comme preuve
d’amitié est des plus sincères. » Ce message ne fut pas chiffré avant
d’être envoyé, mais fut transmis par câble naval. Un second câble secret
informa Hillgarth que les « lettres ont bien été ouvertes », mais
qu’il devait transmettre le message à tous ceux qui étaient « susceptibles
de le faire passer » que les Anglais étaient certains que les lettres
n’avaient pas été lues en Espagne. « Il est important qu’il n’y ait ni
répétition ni suspicion que nous pensions que les lettres aient été lues pour
ne pas mettre en péril la réussite actuelle. »
    Malgré les craintes de certains au FHW et les explications
fanfaronnes de Kuhlenthal pour les lacunes et les contradictions de son récit,
le mensonge était maintenant fermement ancré dans la pensée stratégique
allemande, et il avait commencé à métastaser en se répandant à travers les
veines des services de renseignement de l’Axe. Les informations
sensationnelles, qu’elles soient vraies ou fausses, se propagent inexorablement.
    Loin d’être remis en cause, les assauts prévus sur la Grèce
et la Sardaigne étaient en voie de devenir une croyance acceptée par tous.

19

Hitler perd le sommeil
    Quatre jours après la première analyse de von Roenne, un
certain capitaine Ullrich, officier à l’état-major allemand, proposa une
nouvelle interprétation du renseignement. Ce rapport, daté