Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
avait insisté sur la menace que représentait une
offensive alliée en Grèce depuis l’hiver dernier, et les discussions entre les
alliés de l’Axe en février avaient conclu à la vulnérabilité de la Grèce. Les
documents avaient cristallisé les angoisses pré-existentielles de Hitler :
« le danger est qu’ils s’établissent au Péloponnèse » ; il
proposa « par précaution, de prendre une nouvelle mesure préventive contre
une attaque éventuelle sur le Péloponnèse ». L’activité partisane était
montée en puissance dans les Balkans allemands, et du point de vue de Hitler,
la région semblait être la cible « naturelle ». La Grèce était
l’extrémité la plus fine d’un coin bien aiguisé : « Si un
débarquement a lieu dans les Balkans, au Péloponnèse mettons, à court terme, la
Crète sera perdue, dit-il à ses généraux lors de la conférence du 19 mai.
J’ai donc décidé, quoi qu’il arrive, de transférer une division armée au
Péloponnèse. »
Tandis que la fausse lettre du général Nye attirait
l’attention de Hitler sur la Grèce, la blague de Montagu à propos des sardines
concentrait les regards sur la Sardaigne. « La Sardaigne est
particulièrement menacée, observa le général Walter Warlimont, chef adjoint de
l’état-major de la Wehrmacht. En cas de perte de la Sardaigne, la menace pèsera
lourdement sur l’Italie du Nord. C’est le point clé pour toute l’Italie. »
Les craintes de l’Allemagne envers la vulnérabilité de la Grèce et des Balkans
se reflétaient dans les inquiétudes de Hitler concernant la Sardaigne :
« Il prévoyait que, depuis la Sardaigne, l’ennemi pouvait menacer Rome et
ses principaux ports de Gênes et de Livourne, et frapper simultanément le Sud
de la France, via le Nord de l’Italie, pour s’en prendre au cœur de la forteresse
Europe. »
Un espion anglais introduit dans les cercles du gouvernement
italien rapporta entre-temps que la désinformation Mincemeat avait atteint
Rome, « par l’intermédiaire des Espagnols et pas directement par les
Allemands », confirmant que l’état-major espagnol avait fait ses propres
copies des documents et qu’il les avait transmises aux Italiens. « Le haut
commandement italien connaît les détails de la lettre et les considère comme
authentiques. » L’ambassadeur d’Italie à Madrid dit aux Allemands qu’il
avait obtenu « l’information d’une source absolument irréprochable que
l’ennemi avait l’intention de débarquer en Grèce dans un futur très
proche ». L’ambassadeur d’Allemagne à Rome transmit l’information, qui
n’était plus nouvelle, à Berlin. Le fait que les Italiens communiquent cette
information de haute importance aux Allemands, mais que les Allemands qui la
connaissaient depuis beaucoup plus longtemps, ne se sentaient nullement obligés
de partager le renseignement avec leur allié italien, en dit long sur l’état de
l’alliance de l’Axe.
Des bribes d’information concordantes s’échangeaient dans le
monde diplomatique. Les services de renseignement britanniques découvrirent que
l’ambassadeur d’Allemagne à Ankara avait informé le ministre turc à Budapest
que l’armée allemande allait renforcer sa présence militaire en Grèce, mais
qu’elle n’avait pas d’intention hostile envers la Turquie neutre :
« Il y aura des mouvements de troupes et de transport vers le Sud qui
affecteront la Grèce, mais le gouvernement turc ne doit pas s’inquiéter car ils
ne sont pas dirigés contre la Turquie. » Comme toujours avec le téléphone
arabe, l’information avait tendance à s’embrouiller. Depuis Madrid, Hillgarth
commenta ironiquement : « Dans les cercles allemands, il se raconte
qu’ils ont été avertis de nos plans grâce à des papiers trouvés sur un officier
britannique à Tunis. »
Peu après, Hillgarth reçut un rapport de l’agent Andros
décrivant dans les moindres détails comment les documents étaient arrivés entre
les mains des Allemands. « Le degré de complicité espagnole » y est
dévoilé : « Cet échange d’informations avec les Allemands eut en fait
lieu au plus haut niveau à Madrid. » Andros confirma que Leissner et
Kuhlenthal, les deux officiers les plus hauts gradés de l’Abwehr, avaient été
directement impliqués dans l’obtention des documents de la part des Espagnols,
et tout l’épisode, comme Montagu l’écrivit à « C », « ne
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