Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
contraire. Doenitz rentra de Rome et envoya un compte
rendu de sa réunion avec Mussolini à Hitler. Dans son journal de guerre
officiel, au 14 mai, l’Allemand avait noté : « Le Führer n’est
pas d’accord avec le Duce sur le fait que le lieu le plus probable pour le
débarquement est la Sicile. De plus, il affirme que l’ordre de mission
anglo-saxon qui a été découvert confirme la supposition que l’attaque prévue
sera principalement dirigée contre la Sardaigne et le Péloponnèse. »
Quelques jours plus tard, Hitler écrivit à Mussolini : « D’après les
documents trouvés, il est clair qu’ils ont l’intention de débarquer au
Péloponnèse et qu’ils le feront… s’il fallait empêcher les Anglais d’agir,
comme il le faut à tout prix, cela peut uniquement être fait par une division
allemande. » La confiance de Hitler envers ses alliés italiens
s’amenuisait à vue d’œil et le Führer ne pouvait pas se fier aux troupes de
Mussolini. « Pendant les prochains jours ou les prochaines semaines, un
grand nombre de divisions allemandes doivent être envoyées sans tarder au
Péloponnèse. » Concernant la menace qui pesait sur les Balkans, la lettre
de Nye n’avait pas fait changer Hitler d’avis ; elle n’avait fait que
renforcer ce qu’il croyait déjà à tort. Comme l’écrivit un historien du
renseignement dans son analyse de l’opération Mincemeat : « Il est
très rare et très difficile pour une opération de désinformation d’introduire
de nouvelles idées chez l’ennemi. Il est bien plus facile et efficace de
renforcer celles qui existent déjà. » [6] Des rumeurs allant en ce sens arrivaient de toutes parts, tandis que la
désinformation se répandait parmi les têtes pensantes allemandes, officielles
et officieuses. Ernst Kaltenbrunner, chef du RSHA, ou Reichssicherheitshauptamt ,
une organisation formée par Himmler et qui combinait les services de sécurité
et la Gestapo, dit au ministre des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop,
que les espions qu’il avait infiltrés dans les ambassades britannique et
américaine à Madrid confirmaient que les « cibles des opérations ennemies
[sont] l’Italie et ses îles, ainsi que la Grèce ». Les ambassades de
Turquie à Londres et à Washington apprirent la nouvelle et signalèrent à
l’Allemagne que « les Alliés voulaient avancer dans les Balkans via la Grèce ». Le général Jodl fut entendu dire au téléphone au commandement
allemand à Rome : « Vous pouvez oublier la Sicile, nous savons que
c’est la Grèce. »
Des interceptions Ultra montrèrent que le poste de l’Abwehr
à Rhodes signala, en citant le haut commandement italien comme source,
« que l’attaque alliée serait dirigée contre le cap Araxos et
Kalamata », et ajouta une petite fioriture de son invention :
« Les sous-marins alliés ont reçu l’ordre de se retrouver à un point de
rencontre inconnu pour des opérations groupées. » L’alerte fut transmise
d’Athènes au commandement allemand dans la mer Égée et la Crète, au commandant
de l’armée dans le Sud de la Grèce et à l’Abwehr en Thessalonique, qui la
« transmit à Belgrade et à Sofia ». La désinformation continuerait à
monter en puissance, pour la plus grande joie de Londres : « Les
rapports venant de zones diverses semblaient se confirmer mutuellement et ont
été acceptés comme vrais, pour l’instant du moins. »
Les informations avaient la même origine, mais comme elles
s’étaient propagées par le biais de commérages et de rumeurs, passant de source
en source, elles filtrèrent à nouveau en Allemagne, résonnant tel un écho
amplifié.
Le 19 mai, Hitler tint une conférence militaire lors de
laquelle il mentionna l’offensive prévue sur la Grèce et la poussée à travers
les Balkans. L’« obsession congénitale [du Führer] à l’égard des
Balkans », attisée par les lettres Mincemeat, l’empêchait de dormir.
« Au cours des derniers jours, et surtout la nuit dernière, j’ai à nouveau
beaucoup réfléchi aux conséquences qu’impliquerait la perte des Balkans, et il
ne fait aucun doute que les répercussions seront très graves. » La machine
de guerre allemande, très vorace, ne pouvait pas survivre sans matières
premières provenant des Balkans et de Roumanie, d’où elle tirait la moitié de
son carburant, tout son chrome et les trois cinquièmes de sa bauxite. Le
commandement allemand
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