Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
les bananiers, servis par des Algériens en uniforme amidonné à
épaulettes. D’après Jewell, « malgré les pénuries, le cuisinier de l’hôtel
était capable de préparer un repas dans la parfaite tradition de la cuisine
française ». Rudyard Kipling, André Gide, Simone de Beauvoir et le roi
George V avaient séjourné au St-George. Le 7 juin 1943,
l’hôtel accueillait la conférence cruciale au cours de laquelle Churchill et
Eisenhower finalisèrent les plans du débarquement allié en Sicile. Ce même
mois, il servit de cadre au point d’orgue de la campagne entamée par Jewell
pour gagner les faveurs de Rosemary Galloway. Pendant deux heureuses semaines,
il lui avait fait la cour avec toutes les armes qu’il avait à sa disposition :
cuisine française, piscine américaine et voiture anglaise munie de portières
qui refusaient de s’ouvrir. Rosemary n’avait pas le cœur à résister, et à la
fin de ce siège sans relâche, elle s’abandonna, sans regimber, entre les bras
du lieutenant.
C’est donc avec une vigilance supérieure à la normale que
Jewell scrutait le brouillard qui s’accrochait à la côte sicilienne, à minuit,
le 9 juillet : il avait capturé le cœur de Rosemary Galloway et il
n’avait pas l’intention de le perdre en se faisant tuer. Si Mincemeat avait
échoué – ou pire, si l’opération s’était retournée contre les Alliés –
alors Jewell, son équipage et les milliers de soldats britanniques et
américains qui se préparaient au combat ne survivraient pas aux prochaines
heures. Si le plan avait produit le résultat escompté et s’il survivait, alors
il reverrait sa dulcinée. Jewell, qui n’avait jamais fait grand cas de son
caractère mortel, fut surpris de l’importance qu’il accordait aujourd’hui à sa
survie.
L’équipage du Seraph avait déjà semé une traînée de
petites bouées de repérage, chacune munie d’un fusible qui déclencherait des
éclairages clignotants simultanément dans exactement quatre heures, pour
diriger la flottille jusqu’à la côte. La lourde radiobalise fut portée sur le pont
et le sous-marin approcha lentement du point de largage. Jewell était sur le
point de donner l’ordre de mettre la bouée à l’eau, quand le chuchotement de la
vigie résonna dans l’obscurité. « E-boat par bâbord, Sir . »
Le Schnellboot allemand, surnommé E-boat par les
Alliés, était une vedette-torpilleur équipée de trois moteurs Daimler Benz de
3 300 cv, qui transportait quatre torpilles, deux canons de
20 mm et six mitrailleuses. Il était mieux armé, et trois fois plus
rapide, que le Seraph. Il se tenait immobile à 350 mètres environ,
« silhouette clairement visible qui se découpait en noir sur le bleu
marine du ciel nocturne ». L’E-boat avait aussi repéré le sous-marin
britannique, et essayait de déterminer s’il était ami ou ennemi. « C’était
un moment délicat, écrivit Jewell. Je savais que ce nazi était plus rapide que
nous et bien mieux armé. Je savais que ses canonniers étaient à leur poste,
chargeant leurs armes et attendant l’ordre de tirer. » Pendant quelques
secondes, qui parurent des minutes, Jewell « attendit, les nerfs tendus,
que l’E-boat fasse le premier pas ». Obéissant à un ordre murmuré, les
canonniers et les torpilleurs du sous-marin se rendirent à leur poste. Si les
Allemands attaquaient, le Seraph devrait essayer de lui régler son
compte. Même s’il remportait ce duel, l’attention des garde-côtes serait
attirée vers ce qui se profilait à l’horizon.
Le sous-marin britannique était bas sur l’eau ; l’épais
brouillard rendait l’identification encore plus difficile. Le capitaine
allemand était franchement « hésitant à propos de son identité, ne
s’attendant qu’à trouver des sous-marins amis aussi près de la côte ».
Soudain, il alluma ses feux de navigation. « Je savais que cela devait
être une sorte de signal de reconnaissance auquel j’étais censé répondre
immédiatement. » Le défi posé par le capitaine allemand donna à Jewell les
quelques secondes dont il avait besoin. Le pont fut vidé, la bouée redescendue,
l’écoutille fermée et Jewell aboya l’ordre de plonger. « Il descendit en
quelques secondes. L’ennemi a dû avoir l’impression qu’il disparaissait
littéralement. » Avec un peu de chance, se disait Jewell, la mésaventure
ne révélerait pas le pot aux roses : « Le capitaine de
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