Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
quand
les deux hommes avaient pris leur retraite depuis longtemps, Godfrey rappela
gentiment sa dette à Montagu et les origines de l’opération : « La
simple idée de l’aviateur mort, échoué sur la plage, faisait partie de la
douzaine de notions que je t’ai transmises au moment de la formation de la
section 17M », écrivit-il. Montagu répliqua platement :
« En toute honnêteté, je ne me souviens pas que vous m’ayez fait cette
suggestion. Évidemment, vos paroles auraient pu rester gravées dans mon
subconscient, mais je vous assure que ce n’était pas conscient, ce qui révèle
l’œuvre étrange du destin (ou d’autre chose !). »
C’est aussi l’œuvre étrange du destin qui avait réuni dans
la salle 13 Montagu, l’avocat futé, et Cholmondeley, le grand échalas
imprévisible, un couple bien mal assorti, qui élaborerait le double jeu le plus
remarquable de l’histoire de la déception. Ils avaient le soutien du
Comité XX, ils pouvaient se fier à quantité de précédents et ils avaient
l’embryon d’un plan : il ne leur manquait plus qu’une idée claire de ce
qu’ils allaient en faire.
4
Objectif Sicile
Le plan d’action approuvé par Winston Churchill et Franklin
Delano Roosevelt lorsqu’ils se rencontrèrent à Casablanca, en
janvier 1943, était par bien des aspects d’une simplicité enfantine :
après la réussite de la campagne d’Afrique du Nord, l’opération Torch, la
Sicile était à son tour dans la ligne de mire.
La machine de guerre nazie commençait à balbutier et à avoir
des ratés. La 8 e armée britannique, sous le commandement de
Montgomery, avait vaincu l’invincible Afrika Korps de Rommel à El Alamein.
L’invasion alliée du Maroc et de la Tunisie avait irréversiblement affaibli la
mainmise allemande et, avec la libération de Tunis, les Alliés pouvaient
contrôler les côtes d’Afrique du Nord, ses ports et ses terrains d’aviation, de
Casablanca à Alexandrie. L’heure était venue d’assiéger la forteresse de
Hitler. Mais où commencer ?
La Sicile était la cible logique si l’on voulait frapper un
bon coup « dans le bas-ventre mou de l’Axe », comme Churchill se
plaisait à le dire. L’île située à la pointe de la botte italienne occupait une
place de choix sur la voie maritime reliant les rives Est-Ouest de la
Méditerranée, à quatre-vingts miles seulement de la côte tunisienne. Si les
forces armées britanniques et américaines combinées voulaient libérer l’Europe,
en arrachant l’Italie du joug fasciste et en refoulant le monstre nazi, il leur
faudrait d’abord prendre la Sicile. Les Britanniques à Malte et les convois
alliés avaient été pilonnés par les bombardiers de la Luftwaffe décollant de
l’île. Et, comme le faisait remarquer Montagu, « aucune opération majeure
ne pouvait être lancée, maintenue ou ravitaillée tant que les terrains
d’aviation ennemis et d’autres bases en Sicile n’avaient pas été rayés de la
carte pour libérer le passage par la Méditerranée ». Une invasion de la
Sicile ouvrirait la route vers Rome, éloignerait une partie des troupes
allemandes du front de l’Est, ce qui soulagerait l’Armée Rouge, permettrait de
préparer le débarquement en France et peut-être même d’éliminer une Italie
titubante de la guerre. Briser le « Pacte d’Acier », conclu en 1939
par Hitler et Mussolini, réduirait le moral des Allemands en miettes, comme le
prédisait Churchill, et « cela pourrait être le début de la fin ». Au
départ, les Américains étaient dubitatifs, se demandant si les Britanniques ne
nourrissaient pas des ambitions impériales sur la Méditerranée, mais ils
finirent par parvenir à un compromis : la Sicile serait un tremplin, un
prélude au débarquement en Europe continentale.
Si l’importance stratégique de la Sicile était claire pour
les Alliés, elle ne l’était pas moins pour l’Italie et l’Allemagne. Churchill
était catégorique à propos du choix de la cible : « N’importe quel
idiot saurait que ce sera la Sicile. » Et si l’ennemi était assez
stupide pour ne pas anticiper ce qui allait se produire, il y croirait
certainement quand 160 000 soldats britanniques, américains et du
Commonwealth, ainsi qu’une armada de 3 200 navires, se mettraient en
ordre de bataille pour le débarquement. Le millier de kilomètres de côtes
siciliennes était déjà défendu par sept ou huit divisions ennemies. Si
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