Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
Hitler
anticipait la prochaine manœuvre des Alliés, des milliers de soldats allemands
en réserve en France seraient redéployés sur l’île. Le bas-ventre mou se
transformerait en mur de muscle, refoulant le débarquement dans un bain de
sang.
Mais la Sicile demeurait l’objectif privilégié. Le
22 janvier, Churchill et Roosevelt donnèrent leur bénédiction commune à
l’« opération Husky », le débarquement de Sicile, qui deviendrait la
seconde plus grande opération de la guerre. Le général Eisenhower fut convoqué
à Casablanca pour recevoir ses ordres.
Tout cela posait un terrible casse-tête aux chefs du
renseignement alliés : comment réussir à convaincre l’ennemi que les
Alliés ne feraient pas ce que toute personne censée, munie d’un atlas,
leur recommanderait de faire ?
Au mois de juin précédent, Churchill avait établi la London
Controlling Section (au nom délibérément vague) et avait nommé à sa tête un
contrôleur de la désinformation, le lieutenant-colonel John H. Bevan, dans
le but de « préparer des plans d’intoxication à l’échelle mondiale avec
pour objectif de provoquer le gaspillage des ressources militaires de
l’ennemi ». Bevan était chargé de la conception globale, de la supervision
et de la coordination de la désinformation stratégique. Immédiatement après la
conférence de Casablanca, il reçut pour mission d’élaborer une nouvelle
politique de désinformation pour camoufler le débarquement imminent en Sicile.
Cela aboutit à l’« opération Barclay », un plan complexe, aux
multiples strates, supposé convaincre les Allemands que tout n’était pas noir,
mais blanc, ou au moins gris.
Johnnie Bevan était un ancien d’Eton devenu agent de change,
un véritable pilier de l’ establishment britannique, dont le tempérament
convivial et modeste cachait un esprit extrêmement vif. Il avait cette rare
aptitude typiquement britannique de réussir de véritables coups de maître
tout en conservant un air perpétuellement gêné, et il abordait la tâche
monumentale de la désinformation comme s’il s’agissait d’une partie de cricket.
« Quand les perspectives paraissaient plutôt mauvaises pour son équipe, il
entrait sur le terrain en traînant des pieds, faisait quelques bons coups et
repartait, toujours, en traînant des pieds, en ayant l’air honteux de ce qu’il
venait de faire. » Bevan jouait avec une grande droiture et c’était un
coéquipier honnête et droit : c’est probablement pour cette raison que
c’était un as de la désinformation.
Tandis que Bevan contrôlait tout ce qui avait trait à
l’intoxication depuis les « Cabinet War Rooms », le sous-sol fortifié
de Whitehall, son homologue en Méditerranée était le lieutenant-colonel Dudley
Wrangel Clarke, le chef de la Force « A », l’unité de
désinformation basée au Caire. Clarke était lui aussi un maître de la
désinformation stratégique, mais d’un tout autre acabit. Célibataire,
couche-tard et allergique aux enfants, il était doté d’« une imagination
ingénieuse et d’une mémoire photographique » prodigieuse, ainsi que d’un
flair pour le tragique qui n’était pas sans poser problème. À l’occasion du
Royal Tournament de 1925, il monta une reconstitution historique illustrant
l’artillerie impériale au fil des âges et à laquelle participèrent deux
éléphants, trente-sept fusils et « quatorze des plus grands Nigérians
qu’il avait pu trouver ». Il adorait les uniformes et les costumes. L’une
de ses oreilles avait été partiellement arrachée par une balle allemande
lorsqu’il participa au premier raid commando en France occupée. En 1940, il fut
appelé en Égypte, à la demande expresse du général Sir Archibald Wavell,
commandant en chef au Moyen-Orient, pour créer une « section spéciale du
renseignement pour la désinformation ».
Clarke et la Force « A » avaient passé les deux
années précédentes à dérouter et à embobiner l’ennemi de différentes façons,
toutes plus compliquées et extravagantes les unes que les autres. À eux deux,
les colonels Bevan et Clarke tissèrent la toile de désinformation la plus
complexe à n’avoir jamais été imaginée. Pour l’essentiel, l’objectif de
l’opération Barclay était assez simple : convaincre les puissances de
l’Axe qu’au lieu d’attaquer la Sicile, en pleine mer Méditerranée, les Alliés
avaient l’intention de
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