Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
retiré du Service de renseignement de la Navy
et envoyé au commandement naval en Inde. Il fut remplacé par le commodore (puis contre-amiral) Edmund Rushbrooke, un administrateur capable mais un
officier qui n’avait ni la flamme ni le flair de Godfrey. « Il est très
âgé et il lui manque l’énergie de cette dynamo humaine », écrivit Montagu,
dont l’appréciation de Godfrey était aussi directe : « C’était un
emmerdeur de la pire espèce, mais c’était un génie… Je l’admirais énormément en
tant que cerveau et organisateur du renseignement, aussi sincèrement que je le
haïssais en tant qu’homme. » La bonne nouvelle à propos du départ de
Godfrey était que Montagu et Cholmondeley bénéficiaient désormais de
« l’avantage inespéré d’avoir les mains entièrement libres ». Mais
cela signifiait aussi que la « préparation et la mise au point de Mincemeat,
d’après Montagu, étaient ni supervisées ni contrôlées ».
Godfrey était l’un des rares officiers supérieurs qui
pouvait – et qui aurait probablement – souligné que l’histoire
contenait une débauche de fioritures. Les personnages étaient trop caricaturaux :
l’abominable banquier, le patron intimidant, la fille joyeuse qui allait
bientôt subir un sale coup du sort. L’histoire d’amour vouée à l’échec, le
soldat imperturbable qui marche tout droit vers son destin : c’étaient les
ingrédients essentiels de la culture populaire en 1943. L’histoire de Bill
Martin était le fruit d’esprits qui avaient lu trop de romans d’amour et vu
trop de films dont le héros disparaît dans le lointain pour ne jamais revenir.
Ce défaut pouvait être en partie intentionnel, car le récit n’était pas censé
être une somme réaliste de gens et d’événements, ayant pour but de convaincre
un public britannique, mais une histoire qu’un Allemand pensait être très
britannique. Le rôle de l’avocat, et de l’officier du renseignement, dans l’esprit
de Montagu, était de demander : « Comment cet argument ou cette
preuve interpellera-t-il le public ? » Et non « Comment
m’interpellera-t-il moi-même ? »
En un sens, l’histoire de Bill Martin était trop parfaite.
Rien n’était laissé au hasard. Tout le monde transporte habituellement dans ses
poches et dans son portefeuille des objets inutiles ou dont la signification
n’est pas évidente de prime abord : une photo non identifiée, un
pense-bête illisible, des trombones, un bouton. Les poches de Martin ne contenaient
aucun objet égaré ou inexplicable, rien d’improbable ou d’insignifiant. Les
lettres personnelles ne contenaient ni allusions obscures à des tiers, ni
plaisanteries privées, ni fautes d’orthographe : aucune des qualités qui
différenciaient une correspondance authentique d’une correspondance fabriquée
de toutes pièces. Tout était lié, tout se complétait. Il y avait trop de
détails.
« Pam se donnerait-elle vraiment la peine de préciser
qu’elle travaillait dans une administration ? » Bill le saurait probablement
déjà. De la même façon, un bijoutier se donnerait-il la peine de recopier les
mots gravés sur l’anneau dans sa facture ? Dans la mentalité tordue du
renseignement, quand c’est trop parfait, ça sonne faux.
Mais l’intrigue n’était pas parfaite. En effet, elle
contenait des erreurs qui pouvaient se révéler catastrophiques. Le major Martin
léguait de l’argent à son « ordonnance » : un officier des Royal
Marines n’aurait jamais employé le terme d’ordonnance, mais plutôt d’attaché ( Marine
Officer’s Attendant ou MOA). Pourquoi payait-il ses chemises en liquide
(chez un tailleur militaire qui faisait crédit aux officiers en service) alors
qu’il avait déjà un gros découvert et qu’il devait 53 livres pour une
bague de fiançailles ?
Pire encore, l’intrigue n’aurait pas résisté à un examen
minutieux si des espions allemands en Grande-Bretagne n’avaient fait ne
serait-ce que des vérifications rapides. Un simple coup de téléphone à Ogbourne
St George 242 aurait établi qu’aucune Pam n’était connue à cette adresse.
Un coup d’œil au registre de l’hôtel du Lion Noir aurait révélé qu’aucun
M. J. C. Martin n’y avait passé la nuit du 13 avril. Même
un agent modérément compétent aurait pu appeler S. J. Phillips sur
New Bond Street pour vérifier quelle était l’échéance de la facture et
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