Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale

qu’il n’a pas encore obtenu le moindre contact. Nous avons
conclu un accord à propos du travail et j’ai souligné l’importance de la
vitesse.
    Le rapport continuait en relatant le point de vue d’Ivor sur
le « dernier appel à la raison » de Hitler, son « offre de
paix » à l’Angleterre. Ivor pensait, à juste titre, qu’un accord de paix
était peu probable : « Intelligentsia considère que l’armée est
plutôt anti-vendeurs de saucisses. » La référence aux proches “influents”
d’Ivor suggère que le GRU connaissait la position occupée par Ewen Montagu dans
le renseignement britannique.
    Ewen et Ivor Montagu espionnaient désormais pour des camps
opposés dans la guerre. Depuis 1939, le pacte Molotov-Ribbentrop conclut entre
l’Union soviétique et l’Allemagne nazie liait les deux pays par un accord
officiel de non-agression et, jusqu’à ce que Hitler ne rompe le pacte en
juin 1941, les informations qui étaient transmises au renseignement
soviétique finissaient par arriver entre les mains de la Gestapo. Au départ,
les maîtres-espions d’Ivor Montagu n’étaient pas impressionnés :
    Intelligentsia n’avait encore recruté personne dans les
services financiers militaires. Il a promis de fournir des documents provenant
du professeur Haldane qui travaille dans le cadre d’une mission de l’amirauté
qui a trait aux sous-marins et à leur fonctionnement. Nous avons besoin d’un
homme d’un autre calibre et qui soit plus téméraire qu’INTELLIGENTSIA.
    Le professeur J. B. S. Haldane est l’un des
scientifiques les plus connus de Grande-Bretagne. Pionnier touche-à-tout, il
développa une théorie mathématique sur la génétique humaine, prédit que les
moulins à vent produisant de l’hydrogène remplaceraient les carburants
fossiles, expliqua la fission nucléaire et se perfora le tympan en testant une
chambre de décompression faite maison : « Même quand on est sourd, on
parvient à souffler de la fumée de tabac par l’oreille en question, ce qui est
une réussite sociale. » Haldane était un athée et un communiste
convaincu : « Je pense que le marxisme a raison », déclara-t-il
en 1938.
    Ivor Montagu et Jack Haldane s’étaient liés d’amitié à
Cambridge, et peu après le début de la guerre, Ivor recruta le scientifique
dans le Groupe X. En 1940, Haldane travaillait au centre de recherche
sous-marine de la Navy, à Gosport, et, en juillet, il remit à l’Amirauté un
document secret intitulé Rapport sur les effets de la haute pression, du
dioxyde de carbone et du froid . Il s’agissait d’une étude portant sur
l’immersion prolongée des sous-marins. Deux mois plus tard, Kremer
rapporta : « Intelligentsia a transmis un exemplaire du rapport du
professeur Haldane à l’Amirauté sur ces expériences relatives à la durée
pendant laquelle un homme peut rester sous l’eau. »
    Le Groupe X d’Ivor Montagu s’agrandit lentement, sur
les conseils acerbes de Kremer, et la qualité des renseignements s’améliora. À
l’automne 1940, Ivor avait recruté « trois sources militaires »
et un agent portant le nom de code « Baron », probablement un haut
gradé des services secrets du gouvernement tchécoslovaque en exil, qui fournit
de copieuses informations sur les forces allemandes en Tchécoslovaquie. Par la
suite, le MI5 supposa qu’une autre recrue d’Ivor, désignée par le nom de code
« Bob », était le futur leader syndical Jack Jones. En octobre 1940,
Ivor « rapporta qu’une fille travaillant dans une administration
gouvernementale remarqua dans un document que les Britanniques avaient cassé un
code soviétique ». Kremer dit à Ivor « que c’était une affaire de la
plus haute importance et qu’il devrait donner pour mission au Groupe [X] de
développer ce rapport ».
    À la fin de l’année 1940, le Groupe X était devenu
si productif que le traitement d’Ivor Montagu fut repris par l’officier
supérieur du GRU à Londres, le colonel Ivan Sklyarov, attaché militaire
soviétique, portant le nom de code « Brion ». Les messages rescapés
du Groupe X montrent qu’un flux constant de renseignements militaires
était transmis à Moscou à propos des mouvements de troupes, des dégâts
provoqués par les raids aériens, des informations techniques obtenues par le
biais d’un « officier du ministère de l’Air », de la production de
chars et d’armes, ainsi que des rapports sur les