Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
préparatifs menés en prévision
d’un éventuel débarquement allemand. « La défense côtière se base sur un
réseau de blockhaus présentant des défauts de construction et qui ne tiennent
pas compte de la marge de manœuvre nécessaire pour l’artillerie lourde et
l’équipement des chars des Vendeurs de saucisses. » Ces informations
présentaient un grand intérêt pour Moscou, mais elles auraient été encore plus
importantes pour les Allemands, alors en plein préparatifs pour l’opération
Lion de mer, c’est-à-dire le débarquement en Grande-Bretagne.
Les précieuses informations d’Ivor Montagu furent transmises
à Moscou le 16 octobre 1940, après un raid aérien sur une usine
aéronautique près de Bristol : « 30 bombardiers et
30 avions de combat des Vendeurs de saucisses suivirent un faisceau hertzien
en provenance du Nord de la France. »
La précision de visée des bombardiers de la Luftwaffe
s’était considérablement améliorée au cours des mois précédents, ce qui éveilla
les soupçons sur l’invention par les Allemands d’un appareil de guidage
sophistiqué utilisant les faisceaux hertziens. Il s’agissait du système
« Knickebein » : les bombardiers allemands suivaient un faisceau
hertzien émis depuis la France jusqu’à ce qu’ils en interceptent un autre
au-dessus de la cible et qu’ils larguent leurs bombes. Churchill avait
constitué un comité secret pour essayer de découvrir le mode de fonctionnement
du système et trouver une solution pour le contrer. Le problème fut désigné par
le nom de code « Maux de tête » ; les contre-mesures furent
inévitablement désignées par le nom de code Aspirine. La RAF développa une
technique permettant de « plier » les faisceaux hertziens pour
écarter les bombes de la Luftwaffe de leurs cibles : les migraines furent
guéries. Mais en octobre 1940, Maux de tête bénéficiait d’un niveau de confidentialité
très élevé et n’était connu que d’une poignée de chefs du renseignement,
d’officiers hauts gradés de la RAF et de scientifiques du gouvernement. Le
Groupe X collectait désormais des renseignements émanant des hautes
sphères.
Ivor Montagu était un idéaliste, mais ses actions
constituaient une trahison. Il ne se contentait pas de faire passer
d’importants secrets militaires à une puissance étrangère, mais à un État qui
était lié par un pacte d’amitié avec l’ennemi. Ivor était un antifasciste
engagé et aurait été scandalisé d’être accusé d’aider le nazisme, mais son
engagement envers la cause du communisme, bien que naïf, était absolu. S’il
avait été pris, il aurait certainement été arrêté et jugé d’après les termes de
la Loi sur la Trahison (Treason Act).
Une partie des informations d’Ivor auraient pu lui avoir été
fournies, par inadvertance, par son frère aîné. Ewen Montagu connaissait
l’engagement politique de son frère (« il semble continuer ses
réunions », écrivit-il à sa femme), mais il n’était absolument pas au courant
de ses activités d’espionnage. Il ne savait pas non plus que son frère faisait
l’objet d’une surveillance très rapprochée de la part de ses propres collègues
du MI5. En revanche, Ivor savait que son frère travaillait pour le service de
renseignement de la Navy, à un haut niveau, et il ne faisait aucun doute qu’il
était intéressé par le contenu de sa mallette fermée à clé. L’adhésion servile
d’Ivor au parti, comme le fit remarquer Trotski, l’emportait-elle sur son
affection fraternelle ?
Nous ne saurons probablement jamais si Ivor espionna son
frère, car à la fin de l’année 1942, les interceptions Venona cessèrent
brusquement. Les échanges continuèrent entre la rezidentura à Londres et
Moscou, mais ils devinrent illisibles. Le dernier rapport traduit de Brion est
le suivant : « Intelligentsia a indiqué que son ami, un militaire
dans un régiment de Liverpool, a remis [inintelligible] entraînement allemand,
avec des bombardiers en piqué prenant part [inintelligible] entre Liverpool et
Manchester tout – industrie… » Ce furent les derniers mots
déchiffrables de l’agent Intelligentsia.
En 1943, l’Allemagne nazie et l’Union soviétique
étaient enfermées dans un conflit mortel, et il y avait peu de risque que les
informations du Groupe X soient transmises à Berlin. Mais Ivor resta
indubitablement immergé dans le jeu de l’espionnage.
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