Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
tensions ne tardèrent pas à naître dans le
milieu fermé et tendu de la désinformation. Peu après la nomination de Bevan,
ils commencèrent à se heurter, ce qui conduisit à des désaccords qui
culminèrent en gigantesques conflits de personnalité. Bevan prenait un malin
plaisir à donner des ordres à Montagu ; Montagu réagissait par un mépris
cinglant. Début mars, au milieu de discussions sur la forme que devait prendre
l’opération Mincemeat, Montagu monta une attaque tous azimuts sur Bevan,
l’accusant d’incompétence, de malhonnêteté, d’inefficacité et d’« ignorance
quasi totale des services de renseignement allemands, de leur fonctionnement et
de ce qu’ils étaient à même de croire ».
Quand Montagu avait quelque chose en tête, il n’était pas
facile de lui faire changer d’avis. Bevan, protesta-t-il, « a très peu
d’expérience dans quelque forme de désinformation que ce soit. Il est agréable
et sait se “vendre”. Il n’a pas une intelligence hors du commun et est capable
d’exposer des inepties du genre “nous voulons contenir les Allemands à l’Ouest”
avec le plus grand aplomb… Je suis sûr qu’il ne s’améliorera pas en gagnant de
l’expérience. Le personnel de la Section est soit inadapté à ce type de travail
(dans lequel ils sont tous complètement inexpérimentés) soit il n’est pas à la
hauteur ».
La harangue continue ainsi sur plusieurs pages. Le
dénigrement de Bevan par Montagu est totalement dépourvu de fondement. Bevan
était au moins aussi malin qu’Ewen Montagu. Le mémo calomniant Bevan circula en
interne jusqu’aux chefs du renseignement de la Navy, mais les collègues de
Montagu se sont probablement rendu compte qu’il ne faisait que se défouler et
le document ne quitta pas le NID, ce qui n’était pas plus mal, car si les
récriminations de Montagu étaient arrivées jusqu’aux oreilles de Churchill, qui
faisait toute confiance à Bevan, il aurait pu se faire débarquer. Certains
virent dans l’attitude de Montagu face à Bevan la preuve d’une ambition déçue
et de luttes intestines. Il est plus probable que c’était la réaction exagérée
d’un perfectionniste, frustré de la façon dont son œuvre était manipulée et
profondément alarmé par ce qu’il considérait comme une réaction de plomb face à
la tournure des événements en Méditerranée.
Fin février, Bletchley Park déchiffra un message du haut
commandement nazi à l’état-major allemand en Tunisie, évaluant la situation en
Méditerranée. « D’après ce que nous savons sur les intentions de
débarquement anglo-américain, il est évident que l’ennemi pratique la
désinformation à grande échelle. Malgré tout, il faut s’attendre à un débarquement
significatif en mars. Tout porte à croire que le théâtre des opérations sera la
Méditerranée et que la première opération consistera en une offensive sur l’une
des grandes îles, avec la Sicile en tête des probabilités, suivie de la Crête,
en second, et de la Sardaigne ou de la Corse en troisième. »
Non seulement les Allemands anticipaient une opération de
désinformation, mais ils en avaient correctement deviné la cible et il était
trop tard pour changer les plans. « La Sicile a été autorisée à devenir notre
cible la plus probable et il va être difficile de la faire sortir de la tête de
l’ennemi, avertit Montagu. Il est bien plus facile de persuader les Allemands
que nous attaquerons X que de les dissuader d’une appréciation qu’ils ont déjà
dû formuler que nous attaquerons Y. » Bevan semblait impassible :
« Il n’y a toujours pas de plan de désinformation pour Husky… Pourquoi,
aujourd’hui encore, plusieurs semaines après le lancement de HUSKY,
n’avons-nous toujours pas d’ébauche de plan de désinformation, et encore moins
de plan approuvé et initié ? » Mincemeat avançait à grands pas, mais
si le plan ne fonctionnait pas, ce serait « un échec total de
l’intoxication des Allemands par l’une ou l’autre de nos actions ». Les
Alliés étaient sur le point d’attaquer une cible que les Allemands
s’attendaient à voir attaquer. Montagu avertit que la Grande-Bretagne et ses
alliés étaient « désormais dans une situation extrêmement
dangereuse ».
Il adressa une autre lettre à « Tar » Robertson,
plus tempérée cette fois mais rejetant platement l’idée de Bevan selon laquelle
une lettre factuelle serait
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