Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
espions, mais Gómez-Beare ne tombait pas sous le coup de
ces contraintes. Dans les propres mots de Hillgarth, il était
« exceptionnellement favorisé par des prédispositions personnelles et
linguistiques pour cultiver ce type de relations et, dans la majorité des cas,
ses contacts n’auraient accepté de travailler pour nul autre ». Les
espions de Gómez-Beare s’infiltraient dans la bureaucratie espagnole, comme des
veines dans le marbre : il avait des agents dans la police espagnole, la
sécurité nationale, le ministère de l’Intérieur, l’état-major espagnol et
toutes les branches militaires. Il avait des informateurs dans la haute société
comme dans ses bas-fonds, des salons de Madrid jusqu’aux docks de Cadix. Ces
espions ne se rencontraient jamais et se contactaient uniquement par le biais
de Gómez-Beare. « Il était précieux, disait Hillgarth. C’est lui qui
traitait avec nos contacts spéciaux. Il était d’une loyauté et d’une discrétion
sans égales et les Espagnols, et plus particulièrement la marine, l’adoraient. »
Les Allemands, au contraire, n’aimaient pas Don Gómez-Beare.
L’assistant de l’attaché naval de Grande-Bretagne échappa de justesse à un
sabotage pendant une visite secrète à Lisbonne. Son chauffeur, à la solde des
Allemands, desserra les roues de sa voiture avant que son patron n’emprunte les
routes de montagne du Despeñaperros. Gómez-Beare repéra la tentative
d’assassinat juste à temps. Madrid était un repère infesté d’espions et,
pendant quatre ans, une bataille non déclarée, non officielle et implacable fit
rage entre les agents britanniques et allemands en Espagne. Les deux parties
déployaient tout l’arsenal des armes de la corruption à grande échelle. Les
agents de l’Abwehr espionnaient leurs homologues anglais, qui n’en faisaient
pas moins ; les Espagnols espionnaient les deux camps, sans beaucoup de
résultats. Au début, la chance ne souriait pas aux Anglais. Les Allemands
avaient trop d’avantages de leur côté et bénéficiaient de nombreux
« privilèges et moyens (non officiels évidemment) » fournis par des
collaborateurs espagnols consentants. L’Abwehr infiltra toutes les branches de
l’administration, de la police, du gouvernement et même des affaires. Mais au
fil du temps, la lutte se fit à armes égales, tandis que Hillgarth et
Gómez-Beare tissèrent leur toile d’informateurs, combinant charme, corruption
et magouille. « L’Espagne contient un grand nombre d’agents allemands et
de nombreux Espagnols à la solde des Allemands, écrivit Hillgarth. Ils ont des
idées ingénieuses. Nous nous sommes efforcés de déjouer leurs plans et, dans
une certaine mesure, nous y sommes parvenus. » Dans cette atmosphère
fébrile, il était impossible de savoir qui espionnait pour qui. « Madrid
était pleine d’espions, nota Hillgarth, personne n’est surveillé en permanence,
mais tout le monde est observé. »
Et personne n’était surveillé plus attentivement ou
n’observait plus scrupuleusement que Don Gómez-Beare.
Une fois le thé servit dans la salle 13, Cholmondeley
et Montagu exposèrent leurs plans au Gibraltarien. Quel serait le meilleur
endroit, demandèrent-ils, pour déposer un cadavre lardé de fausses informations
entre les mains des Allemands ? Gómez-Beare réfléchit au problème. Si le
corps s’échouait près de Cadix, il risquait d’être simplement remis aux
autorités britanniques de Gibraltar, ce qui ferait échouer le plan dès le
départ. Il y avait aussi le risque, expliqua-t-il, que « le corps soit
découvert et/ou récupéré par la marine espagnole qui ne coopérerait pas avec
les Allemands ». La marine, en partie grâce aux efforts de Gómez-Beare,
penchait bien plus en faveur de l’Angleterre que les autres branches
militaires, donc il était préférable que le cadavre et son contenu soient tenus
loin de la marine.
D’après Gómez-Beare, l’endroit idéal se trouvait à proximité
de Huelva, un port de pêche sur la côte espagnole où le fleuve Tinto se jetait
dans l’Atlantique. « Huelva est sous forte influence allemande »,
expliqua Gómez-Beare ; la ville abritait une vaste communauté allemande à
la ferveur patriotique. Le consul britannique à Huelva, Francis Haselden, était
« un homme fiable et serviable », dont l’aide serait précieuse pour
la réussite de la ruse. Huelva avait aussi un « chef de police très
pro-Allemand
Weitere Kostenlose Bücher