Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
[qui] communiquerait aux Allemands toutes les choses dignes
d’intérêt qui seraient trouvées sur le corps ».
Mais surtout, Huelva était le pré carré d’un espion allemand
particulier et très problématique. L’agent en question était « actif et
influent » dans toute la région. Il était extrêmement efficace, avait
beaucoup de relations et était impitoyable. Il n’était pas souhaitable
d’embobiner cet homme, mais pour Gómez-Beare c’était un véritable plaisir.
Adolf Clauss collectionnait des papillons. Les murs de sa
grande maison étaient couverts de boîtes de spécimens, chacun étant minutieusement
épinglé et identifié. Il passait ses journées avec son filet à papillons, des
jumelles et un appareil photo sur les falaises de Rabida, où l’Odiel et le
Tinto se rejoignaient et se jetaient dans l’océan, à l’endroit où Christophe
Colomb se prépara à appareiller pour le Nouveau Monde. Clauss possédait une
grande ferme à Rabida, où il faisait pousser de grosses tomates et des
betteraves. Il peignait, jouait au tennis en soirée et fumait des cigarettes
sans filtre dès le réveil. Il fabriquait de fragiles chaises en bois qui se
brisaient dès qu’on s’asseyait dessus. Adolf était un homme à l’apparence peu
commune. La malaria qu’il attrapa au Congo l’avait rendu affreusement maigre,
et chaque crise le laissait toujours plus émacié. Il avait de grandes oreilles
décollées et ressemblait à un cadavre sur lequel on aurait collé deux
soucoupes. L’habitude qu’il avait d’apparaître dans votre dos, silencieusement
et subrepticement, lui avait valu le surnom de « l’ombre ». À
quarante-six ans, Clauss avait pris sa retraite, mais on ne savait pas bien de
quoi.
La famille Clauss était la plus riche de Huelva. Le père
d’Adolf, Ludwig, était un industriel qui avait déménagé de Leipzig vers
l’Espagne à la fin du XIX e siècle. Avec son partenaire, Bruno
Wetzig, Ludwig créa une entreprise de transformation de produits agricoles, qui
vendait du poisson sur les marchés de Madrid et fournissait des denrées
alimentaires et autres aux ouvriers des mines du Rio Tinto exploitées par des
Britanniques. Clauss et Wetzig firent fortune. Ludwig acheta des terres à
proximité de Huelva, fit édifier un grand mur et devint le consul honoraire
d’Allemagne.
La communauté britannique était aussi importante et encore
plus riche que la communauté allemande. Si la famille Clauss régnait sur la
communauté allemande de Huelva, la compagnie du Rio Tinto régnait sur toutes
les autres, employant plus de 10 000 personnes et dirigeant la ville
comme son fief. Les mines se trouvaient à 100 kilomètres de la côte et le
cuivre et la pyrite étaient transportés jusqu’au port de Huelva par une voie de
chemin de fer construite à cet effet. Les patrons se déplaçaient à cheval et
étaient surnommés « les vice-rois », à tel point que leur attitude
était arrogante et royale. Les riches Espagnols singeaient les manières coloniales
britanniques, buvant le thé à dix-sept heures et jouant au bridge. En privé,
les Anglais étaient détestés pour leur pillage des richesses du sous-sol
espagnol : « Les Romains l’exploitèrent en premier, puis ce furent
les Britanniques. Quand vint le tour des Espagnols, il ne restait plus
rien. »
Comme de nombreux colonialistes, les Britanniques et les
Allemands avaient tendance à exagérer leurs particularismes culturels. Les
Britanniques construisirent la réplique d’un village anglais, qu’ils nommèrent
Barrio Reina Victoria, avec des cottages à pignon et un pré communal. Les
Allemands envoyaient leurs enfants à l’école en Allemagne et observaient les
traditions germaniques : ils vivaient en Espagne, mais l’Allemagne était
leur patrie. Avant la guerre, les deux communautés s’étaient mélangées, ils
jouaient ensemble au golf et au tennis et assistaient aux mêmes événements.
Après la déclaration de guerre, tout contact social cessa.
L’opinion publique espagnole à Huelva était divisée à propos
d’Adolf Clauss, le fils cadet de Ludwig. Certains le considéraient comme un
« mouton noir », car il ne semblait ne jamais travailler. Pour
d’autres, il était « la seule personne douée d’intelligence de la
famille », aussi parce qu’il ne paraissait jamais travailler. En effet,
Clauss était très malin et il trimait probablement plus que quiconque à Huelva,
espionnant
Weitere Kostenlose Bücher