Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
suffisante : « Il serait vraiment dommage
de nous servir d’une lettre à un faible niveau. Je ne pense pas qu’une telle
lettre impressionne l’Abwehr ou les autorités opérationnelles. »
Tandis que Montagu était aux prises avec Bevan et que les
tractations continuaient à propos du contenu des lettres, un autre débat était
en cours pour déterminer l’endroit où le corps devait aller s’échouer. Après
avoir brièvement évoqué le Portugal ou le Sud de la France, les planificateurs
choisirent l’Espagne. La Grande-Bretagne et l’Allemagne avaient toutes les deux
une ambassade à Madrid, mais le climat général était plutôt pro-Allemand et
anti-Britannique, surtout au sein des forces armées et de la bureaucratie
espagnole. Comme un officier du MI5 le fit observer, une partie de l’État
espagnol était effectivement à la solde des Allemands : « La police
espagnole et les officiers de la Seguridad [le service de la sécurité espagnol]
avaient pour instructions d’accéder aux moindres demandes des Allemands. Des
passeports étaient émis pour les nationalistes espagnols sur la recommandation
des Allemands ou refusés sur leur ordre. La presse et la radio espagnoles
étaient à la botte des Allemands. L’état-major allemand collaborait au maximum.
Ils pouvaient user librement de la valise diplomatique espagnole. » Si les
documents trompeurs pouvaient être placés entre les bonnes mains espagnoles,
ils seraient certainement transmis aux Allemands. Mais les Espagnols étaient
imprévisibles et beaucoup étaient foncièrement opposés aux nazis. Le pire
adviendrait si le cadavre et ses papiers tombaient entre les mains d’un
sympathisant allié et qu’ils étaient retournés intacts. Quelle était donc la
partie la plus pro-allemande de la côte espagnole ?
Un télégramme fut envoyé au capitaine Alan Hillgarth,
attaché naval à l’ambassade de Madrid et chef du renseignement de Churchill en
Espagne, pour lui demander d’envoyer un lieutenant de confiance à Londres pour
une conférence urgente. Salvador Augustus Gómez-Beare, assistant de l’attaché
naval à l’Ambassade de Grande-Bretagne à Madrid, se présenta à l’Amirauté,
fraîchement débarqué de l’avion de Madrid, et fut conduit à la salle 13.
Gómez-Beare, universellement connu par son surnom,
« Don », était un Anglo-Espagnol de Gibraltar qui était parfaitement
à l’aise dans les deux cultures. Il était citoyen britannique, profitait de
gros revenus privés, parlait le plus pur anglais de la haute bourgeoisie et
présentait d’impeccables manières britanniques comme seul un non-Britannique
pouvait le faire. Il jouait au bridge avec Ian Fleming au Portland Club, et au golf toute l’année. Mais en Espagne, il était espagnol, avait la peau
mate, parlait avec un accent méridional et devenait invisible. En 1914, alors
qu’il était étudiant en médecine à Philadelphie, il s’engagea volontaire dans
l’armée britannique et passa deux années dans les tranchées avant de rejoindre
le Royal Flying Corps. Pendant la Guerre civile espagnole, il « travailla
dans le renseignement militaire pour l’armée de Franco ». Gómez-Beare
avait accès à des lieux dans lesquels aucun Anglais ne pouvait pénétrer,
« Espagnol en Espagne, Anglais en Angleterre qui servit le Royaume-Uni
avec une intensité et une minutie inégalées par aucun Anglo-Saxon ».
Hillgarth l’avait recruté en 1939, suggérant initialement qu’on lui donne le
rang de capitaine dans les Royal Marines, « à cause de son énorme
moustache de la RAF ». Il fut nommé au rang de capitaine de corvette de la
RNVR, à condition qu’il se rase et bien qu’il n’ait « guère plus que de
vagues expériences maritimes ». Dès le début de la guerre, on pouvait voir
Gómez-Beare « arpentant Madrid, roulant jusqu’à Saint-Sébastien, voletant
jusqu’à Barcelone, volant autour de Gibraltar et aidant les aviateurs anglais à
quitter la France ». Quand Airey Neave s’évada de Colditz en 1942, c’est
Gómez-Beare qui lui fit passer la frontière vers Gibraltar. Il avait une villa
à Séville, un appartement à Madrid et des espions dans toutes les strates de la
société espagnole. Gómez-Beare fut le principal recruteur des agents secrets de
Hillgarth.
Alan Hillgarth, en tant que dirigeant d’une ambassade dans
un pays neutre, ne pouvait pas être pris en flagrant délit d’espionnage ou en
train de recruter des
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