Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
l’ambassade, était si énorme que trente-quatre
opérateurs radio et dix secrétaires (dont Elsa, la cousine d’Adolf Clauss)
étaient nécessaires pour maintenir une liaison directe par télétype avec
Berlin, via Paris.
Grâce à l’un de ces agents, un haut gradé de la Dirección
General de Seguridad, les services de sécurité espagnols, Alan Hillgarth
connaissait le nom, le grade, le rôle et, généralement, le nom de code, de la
plupart des agents de l’Abwehr. À la demande de Hillgarth, cet agent avait mis
sur pied une section spéciale dans le but de surveiller l’espionnage allemand.
Officieusement, c’était pour s’assurer que le ministre de l’Intérieur espagnol
soit tenu informé des activités clandestines allemandes. « En effet, les
rapports étaient destinés au ministère de l’Intérieur », écrivit
Hillgarth, « mais ils nous étaient aussi remis. » Le même informateur
fournit à Hillgarth la liste complète du personnel de l’Abwehr en Espagne, avec
« le signalement de chacun ». Menzies, à la tête du MI6, autorisa
Hillgarth à acheter la liste « contre une très grosse somme ». De
retour à Londres, Philby maugréa que le prix payé par « Armada » pour
cette « précieuse source » était « très élevé, en
effet » ; « J’ai dû me battre pour obtenir une augmentation de
cinq livres par mois pour les agents qui produisaient des informations
régulières, bien que moins spectaculaires ! » se plaignit-il. Mais,
elle en valait la moindre peseta, car elle fournit aux services de
renseignement britanniques une description détaillée de l’organigramme de
l’Abwehr en Espagne : connais ton ennemi, puis trouve comment le tromper.
À la tête du poste de l’Abwehr en Espagne, Wilhelm Leissner,
attaché honoraire à l’ambassade d’Allemagne, portait les noms de code
« Heidelberg » et « Juan ». Il était de petite taille et
avait la voix douce. Vétéran de la Légion Condor, Leissner était resté en
Espagne, où il dirigeait une entreprise d’import-export sous le pseudonyme de
Gustav Lenz. Au-dessous de Leissner se trouvaient Hans Gude, chargé des
renseignements de la marine, Fritz Knappe-Ratey, un agent portant le nom de
code « Federico » et George Helmut Lang, mieux connu sous le nom
d’« Emilio ». Depuis l’automne 1942, les rangs de l’Abwehr en
Espagne comptaient aussi le major Fritz Baumann, ancien policier, détaché par
l’armée allemande à la section sabotage de l’Abwehr. Baumann était chargé de
coordonner les attaques sur les navires alliés, mais c’était aussi un médecin
légiste expérimenté qui avait étudié la médecine légale à l’école de police de
Hambourg avant la guerre. Devenu expert dans l’art de déterminer « les causes
de décès et la gravité des blessures », Baumann avait « examiné des
centaines de cadavres » à la fois avant et pendant la guerre.
Mais l’officier de l’Abwehr qui intriguait le plus Hillgarth
était le major Karl-Erich von Kuhlenthal. Le dossier que détenait le MI5 sur
cet homme faisait huit centimètres d’épaisseur ; on en savait plus sur lui
que sur tout autre espion allemand en Espagne. Le père de Kuhlenthal s’était
distingué en tant que soldat, avait été promu au rang de général et servait en
tant qu’attaché militaire à Paris et à Madrid. La famille Kuhlenthal était
riche et avait des relations. L’amiral Wilhelm Canaris, à la tête de l’Abwehr,
était de la famille, ce qui contribue à expliquer l’ascension rapide de
Kuhlenthal dans les rangs des services de renseignement. Comme Clauss,
Kuhlenthal avait servi dans la Légion Condor en tant que secrétaire de Joachim
Rohleder, chef des renseignements de l’unité. Après la Guerre civile, il
retourna en Allemagne pendant quelque temps et travailla pour un oncle dans le
commerce du vin, puis pour son beau-père dans l’entreprise de textile de Dienz.
Il visita Londres, Paris et Barcelone ; il parlait bien anglais et
parfaitement espagnol. En 1938, il était de retour en Espagne, dirigeant
ostensiblement une affaire de radio tout en continuant son travail clandestin.
Au début de la guerre, il fut nommé adjudant général de Leissner, mais il se
distingua vite par son ambition et son énergie.
En 1943, âgé de trente-sept ans, Kuhlenthal était à la tête
de la section espionnage de l’Abwehr à Madrid. Il coordonnait les
renseignements politiques et militaires et
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