Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
vis-à-vis des diplomates allemands était de nous comporter comme s’ils
n’existaient pas. Si nous les rencontrions à une réception, nous les ignorions.
Ils agissaient de même. »
Madrid était le creuset de l’espionnage européen, et, en
tant que chef des espions britanniques, Hillgarth se retrouva à servir la soupe
à d’étranges clients du monde du renseignement.
Dudley Wrangel Clarke était le maître de la
force « A », l’unité qui était basée au Caire et qui se
consacrait aux opérations de désinformation en Méditerranée. En tant
qu’officier des renseignements à la tête de la désinformation dans le cadre de
l’opération Husky, Clarke avait été impliqué à tous les stades de l’élaboration
de l’opération Mincemeat. Mais Hillgarth l’avait déjà rencontré dans d’autres
circonstances. En octobre 1941, il avait fait sortir Dudley Clarke d’une
geôle espagnole. Cela n’avait rien d’extraordinaire, car Hillgarth faisait
souvent sortir des gens de prison. Ce qui rendait l’occasion si particulière,
et si embarrassante, c’était la tenue du colonel Clarke : il était habillé
en femme. Une photographie prise par la police espagnole montrait ce maître de
la désinformation en hauts talons, avec du rouge à lèvres, des perles et un
chapeau chic, portant de longs gants d’opéra. Il n’était même pas censé se
trouver en Espagne, mais en Égypte. Malgré la situation embarrassante dans
laquelle le colonel se trouvait, il avait l’air très à l’aise, voire insouciant
sur la photo.
En revanche, ses collègues ne l’étaient pas du tout. Guy
Liddell du MI5 remarqua : « Les circonstances de sa libération
étaient pour le moins singulières. Il était habillé en femme et portait un
soutien-gorge, etc. » C’est le « soutien-gorge, etc. » qui
en dit long. Que pouvait-il bien avoir en tête ? Un type peut bien se
déguiser, s’il le faut, mais en portant un soutien-gorge ? Les pouvoirs
publics espagnols semblèrent trouver l’incident amusant et ils publièrent un
prospectus de propagande annonçant qu’un homme nommé « Wrangel
Craker » qui affirmait être le correspondant du Times à Madrid,
avait été arrêté, habillé en femme.
Ayant facilité la libération de Clarke, Hillgarth obtint les
photographies de son collègue, avec et sans déguisement, et les envoya
joyeusement à l’assistant personnel de Churchill, Charles « Tommy »
Thompson, qui les montra au Premier ministre. Hillgarth y joignit une note pince-sans-rire :
« Ci-joint quelques photographies de M. Dudley Wrangel Clarke tel
qu’il était au moment de son arrestation et après avoir été autorisé à se
changer. » La photographie « après » montrait Clarke en nœud
papillon et veste, tenue qui lui était plus habituelle. « PM a vu »,
disait une note griffonnée sur la lettre de Hillgarth. Malheureusement,
l’histoire ne dit pas quelle a été la réaction de Churchill. Tout Whitehall eut
vent des photographies : certains se demandèrent si Clarke était « sain
d’esprit », tandis que l’explication plus sympathique était qu’« il
était tout à fait du genre à s’imaginer comme étant un agent des super services
secrets ». L’affaire nuisit longtemps à sa carrière, mais la raison du
travestissement de Dudley Clarke demeure un mystère.
Au printemps 1943, après le succès de la campagne
d’Afrique du Nord, le risque que l’Espagne ne rejoigne l’Axe avait reculé et,
après plus de trois années passées à jouer au chat et à la souris avec les
Allemands, Hillgarth fut prompt à la contre-attaque. En février 1943, il
envoya une lettre au directeur du renseignement de la Navy dans laquelle il
déclarait : « Il est temps de passer de la défensive à l’offensive.
Il est temps de frapper un grand coup. » Les sous-marins de l’Axe
croisaient toujours dans les eaux espagnoles ; les bateaux de pêche
espagnols étaient utilisés pour repérer les U-boats ; des saboteurs
allemands et à la solde des Allemands s’attaquaient aux navires britanniques et
les autorités portuaires espagnoles fournissaient à l’Abwehr « plus ou
moins tous les renseignements maritimes qu’ils obtenaient ». Tous ces
agissements étaient en parfaite violation de la neutralité espagnole. Malgré
des protestations britanniques répétées, Hillgarth souligna que l’Axe
« fut autorisé, avec peu ou aucune interférence des autorités
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