Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
embarqué un sac en toile
contenant les dernières lettres de l’équipage. « Après un ultime échange de
signaux lumineux pour nous souhaiter “Bonne chance”, nous mîmes le cap sur la
houle de l’Atlantique, plongeant peu après. » Le Seraph était seul.
Le temps était correct et la mer était calme, l’équipage s’installa dans le
monde étrange, à demi éclairé d’un long voyage sous-marin, composé à parts
égales d’ennui, d’anticipation et de peur. Le jour, le sous-marin progressait
immergé ; la nuit, il refaisait surface et continuait au diesel, pour
recharger les batteries, puis il plongeait à nouveau lorsque l’aube pointait.
S’il n’était ni attaqué ni distrait d’aucune sorte, parcourant 130 miles
par jour, le passage jusqu’à Huelva devrait prendre dix jours.
Sous le pont, l’air était étouffant. L’équipage et les
officiers étaient de quart pendant deux heures, puis de repos pendant quatre
heures, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. « La
monotonie ne s’installait jamais vraiment, parce que nous avions toujours en
tête notre détermination à survivre, ce qui exigeait d’être en alerte constante. »
Pour l’époque, la nourriture sur le Seraph était excellente et
abondante. « Nous ne manquions jamais de viande, de beurre, de sucre ni
d’œufs. Nous avions même des produits de luxe comme des biscuits au chocolat et
du miel… Nous avions la chance d’avoir un chef qui savait faire du bon
pain. » Personne ne se rasait et tout le monde dormait tout habillé. Au
bout de quelques jours de mer, l’odeur des corps pas lavés et des moteurs
envahissait le sous-marin.
Le lieutenant Scott était allongé sur sa couchette, tentait
de lire Guerre et Paix et de ne pas penser à la mort. Il admirait
Jewell, le considérant comme l’incarnation du parfait capitaine de
sous-marin : courageux, il était d’un naturel toujours calme et
calculateur. Mais aussi brave et astucieux qu’était son commandant, Scott
savait qu’il risquait de mourir avant d’avoir atteint son vingt-troisième
anniversaire. « À l’époque, les chances de rentrer chez soi quand on
servait dans un sous-marin basé en Méditerranée étaient de 50/50. » Avant
d’embarquer sur le Seraph, Scott avait passé une semaine à Londres. Le
dernier jour de sa permission, son oncle Jack et sa mère récemment veuve
l’invitèrent à déjeuner dans un restaurant chic. Quand le moment fut venu de
faire ses adieux, sa mère et son oncle avaient tous les deux les larmes aux
yeux. « Assez choqué, je me suis rendu compte qu’ils pensaient que,
peut-être, ils ne me reverraient jamais. »
À quelques mètres de là, sur sa propre couchette, le
commandant du Seraph , le lieutenant Jewell, ne pensait pas à la mort. En
effet, après plus de trois ans de combats sous-marins particulièrement féroces
et plusieurs missions irrégulières et exceptionnellement dangereuses, la pensée
de mourir semblait ne jamais lui avoir effleuré l’esprit.
Jewell était né aux Seychelles, où son père était médecin en
service colonial. Il se porta volontaire pour travailler dans les sous-marins
en 1936. La guerre durait déjà depuis deux ans, quand le jeune lieutenant se
qualifia pour prendre le commandement du Seraph , un sous-marin de
classe S, qui venait d’être inauguré. Peu après avoir pris le
commandement, Jewell tomba par l’écoutille. En 1946, un médecin lui annonça
qu’il avait deux vertèbres cassées : il avait fait toute la guerre avec
une fracture du cou.
Sa première patrouille, en juillet 1942, était
emblématique de ce qui allait suivre : danger extrême, échappée belle et
une certaine dose de farce. Le Seraph fut la cible d’un avion de la RAF,
mais échappa au pire. Puis, au large de la Norvège, Jewell repéra un U-boat et
le réduit en miettes avec une seule torpille. La première victime du Seraph s’avéra être une baleine.
En octobre 1942, pendant la dernière ligne droite avant
l’opération Torch, le nom de code du débarquement en Afrique du Nord, Bill
Jewell reçut sa première mission secrète : il fut chargé de transporter le
général américain Mark Clark, vice-commandant en chef auprès d’Eisenhower,
jusqu’aux côtes algériennes, pour des négociations secrètes avec les
commandants français. Le débarquement, dirigé par le général Patton, avait déjà
commencé et la neutralité des forces de Vichy en Algérie
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